« Avec la musique, le monde est plus beau. » Ces quelques mots sonnent comme un slogan et viennent pourtant du plus profond, lâchés avec sincérité et spontanéité par une jeune fille de 10 ans. Lina pratique depuis trois ans le violon dans le conservatoire de sa petite ville de l’Essonne, un conservatoire qu’elle considère comme sa « deuxième maison ». « Quand je joue, je ne réfléchis plus. Surtout en concert. C’est comme si je donnais une part de moi-même », s’ouvre-t-elle.

Béatrice a elle aussi eu la chance de bénéficier, enfant, d’une éducation musicale. « À l’entrée au collège, j’ai rejoint une classe à horaires aménagés. Cela m’a permis de sortir de la cité de Seine-Saint-Denis où j’habitais et où ma mère était institutrice. Cela a constitué un facteur d’ouverture sociale et culturelle. Cela m’a aussi appris la discipline », se souvient celle qui aujourd’hui encore pratique le chant au sein d’un chœur amateur. « Une bouffée d’oxygène. » Et davantage : « Cela renforce ma confiance en moi, y compris dans les relations professionnelles », note Béatrice, cadre chez un opérateur public de transports.

Devenue mère, Béatrice a proposé à ses deux filles de vivre une expérience similaire. La cadette, 12 ans, piano et chant, est scolarisée à Paris dans une classe à horaires aménagés. Tout comme l’a été, au collège, sa grande sœur, qui chante elle aussi et joue de la flûte.

Présence de l’esprit et maîtrise du corps

« Elle hésite à arrêter l’an prochain cet instrument, qui lui donne beaucoup de travail et de stress, pour se concentrer sur le chant », glisse Béatrice. « La musique en tout cas lui apporte énormément. Ma fille s’attarde parfois au lycée pour enregistrer, juste pour le plaisir, des morceaux avec ses copines. Sans le recours aux mots ou à l’image, ce moyen d’expression lui correspond bien », constate-t-elle.

La pratique musicale répond aussi, plus largement, aux enjeux d’une époque en proie à la tyrannie du virtuel et de l’instantané. « Elle nécessite une concentration, une entière présence de l’esprit, une maîtrise du corps qui aident l’enfant ou l’ado à prendre conscience de lui-même », argumente Xavier Delette, directeur du conservatoire à rayonnement régional de Paris.

« Elle offre ainsi un précieux rééquilibrage par rapport aux sollicitations des écrans », reprend ce chef d’orchestre. « D’autant plus que l’apprentissage du chant ou d’un instrument constitue une rare occasion de s’inscrire dans un temps long, d’apprendre la persévérance. Il faut souvent des semaines voire des mois pour s’approprier véritablement une partition. Un défi que nos élèves abordent avec plaisir », insiste Xavier Delette.

Le goût de l’effort

Un « défi », terme que Lina, du haut de ses 10 ans, ne récusera pas. « À chaque nouveau morceau, je me dis que je n’y arriverai pas. Puis je me houspille un peu pour prendre mon violon trois ou quatre fois par semaine, et je finis par y arriver », confie-t-elle avec fierté.

Même s’il inclut de plus en plus une dimension ludique, l’apprentissage en conservatoire développe ou du moins nécessite le goût de l’effort. Ce qui a parfois pour conséquence de décourager certains élèves, de les éloigner de toute pratique musicale. Pourtant, il existe d’autres solutions (cours particuliers, associations ou écoles privées, etc.), en fonction des bourses et des territoires, pour initier son enfant à la musique en tenant compte de ses désirs et de sa capacité d’engagement.

En tout cas, affirme l’enseignant-chercheur en sciences cognitives Emmanuel Bigand (1), « tout enfant a les compétences pour participer à des jeux musicaux, frapper des rythmes, inventer des chansons ». Et « il n’est pas nécessaire de viser l’excellence pour récolter les fruits d’une pratique musicale ».

Des effets tangibles sur la scolarité

« En analysant des quantités d’études portant sur des cohortes significatives, on peut conclure que la musique exerce un effet positif sur les capacités cognitives (mémoire, attention, raisonnement, etc.), qui se répercute sur la réussite académique, poursuit ce membre de l’Institut universitaire de France. On estime par exemple que des élèves qui suivent chaque semaine deux heures d’un atelier musical récréatif améliorent leurs performances scolaires autant que des élèves qui effectuent plusieurs heures hebdomadaires de travail scolaire à la maison. Autrement dit, le bénéfice de la musique est aussi grand que celui des devoirs à la maison. »

De même, « deux heures d’éveil musical en grande section de maternelle facilitent les acquisitions en CP, quand bien même on cesse d’y enseigner la musique ». Autre apport : « La musique favorise le développent de l’intelligence affective et sociale, ainsi que la construction de la personnalité. »

Nombre de ces bienfaits ont pu être observés dans le cadre du projet Démos, un programme à vocation sociale qui mise sur l’initiation à la musique par l’orchestre. « Avant même l’introduction de la partition, en deuxième année, les enfants commencent l’apprentissage d’un instrument, qui leur est confié pour trois ans », raconte Indiana Wollman, coordinatrice de la recherche à la Philharmonie de Paris, partenaire du projet. « Chacun des 45 orchestres réunit une centaine d’enfants de 7 à 12 ans issus de quartiers prioritaires de la ville ou de zones rurales. Avec un musicien professionnel, les jeunes répètent deux fois par semaine par groupes de 15 et tous ensemble une fois tous les mois et demi, afin de préparer un concert, donné dans un lieu emblématique de leur territoire. »

Les recherches en sciences humaines et sociales ou en sciences cognitives menées sur le projet Démos montrent de multiples bénéfices, résume Indiana Wollman : « Une augmentation significative du quotient intellectuel (QI) des participants, notamment chez ceux qui présentaient au départ un QI peu élevé, une amélioration des capacités d’attention, une déconstruction des préjugés culturels et une diversification des goûts… La dimension collective de la pratique – qui sollicite les capacités d’imitation et de synchronisation avec les autres – permet aussi de développer l’empathie. »

À l’école, priorité à la pratique vocale

Une pratique de groupe à laquelle l’éducation nationale donne elle aussi la priorité, du primaire à la fin du collège, en s’appuyant sur le plus commun des instruments : la voix. « Depuis 2007, fini la flûte à bec, qui pour les collégiens tenait lieu d’unique pratique individuelle », retrace l’inspecteur général Vincent Maestracci. « L’un des objectifs est d’apprendre aux élèves à produire ensemble de la musique. Et la pratique vocale offre assez vite des résultats valorisants », assure-t-il.

L’autre axe réside dans « la capacité d’écoute et l’acquisition d’une culture musicale, avec un répertoire bien plus ouvert que dans le passé, avec du classique mais aussi du jazz, du rock, de la techno, des musiques du monde… », poursuit Vincent Maestracci. Pour lui, l’école a une responsabilité majeure, celle de « poser des jalons permettant à chaque élève de développer ses savoirs dans un monde que caractérisent l’hyper abondance et la formidable accessibilité de la musique enregistrée ».

Un foisonnement de ressources que les parents peuvent eux aussi utiliser pour initier leurs enfants à la musique. « Même s’ils ne s’y connaissent pas ! », insiste Denisa Kerschova, productrice et présentatrice de l’émission « Allegretto », sur France Musique, qui propose le mercredi matin une programmation spéciale à destination des enfants.

« Ateliers de découverte, fonds des bibliothèques et médiathèques, sites d’institutions comme la Philharmonie de Paris… Bien des possibilités existent pour placer la musique – notamment le classique – à la portée des enfants, pour leur faire découvrir le fonctionnement de l’orchestre avant d’aller au concert. » Le tout étant de « ne pas aborder ce répertoire comme quelque chose de sacré », souligne Denisa Kerschova, mais de faire de la musique « un objet de partage, un temps privilégié en famille ».

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Musiques du monde, mondes des musiques. Une sélection dédiée au voyage : à la rencontre des contrées lointaines et de leurs musiques telles qu’elles se pratiquent et se vivent ailleurs.

(1) Auteur de La Symphonie neuronale. Pourquoi la musique est indispensable au cerveau, Humensciences, 2020, 20 €.