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Vinification musicale: au son du tanin

Alors que Vinisud, salon international des vins méditerranéens, s’ouvre ce dimanche à Montpellier, des viticulteurs héraultais racontent leur expérimentation de la «vinification musicale».
par Sarah Finger, Photos Olivier Metzger
publié le 18 février 2018 à 10h08
(mis à jour le 18 février 2018 à 11h20)

La musique ne fait pas qu'adoucir les mœurs : elle bonifierait aussi le vin. Bercé par du classique ou du jazz durant la phase de fermentation, le vin s'enrichirait grâce à ces bonnes vibrations… C'est du moins ce qu'affirme Swing It, une start-up créée dans l'Hérault en 2015. Mais par quelle magie quelques notes pourraient-elles charmer du raisin ? «Les vibrations de la musique traversent les levures naturelles qui transforment le sucre en alcool et stimulent leur travail pendant la fermentation, répond Sébastien Durand, 40 ans, cofondateur de Swing It. Diffuser de la musique évite donc les arrêts de fermentation et crée un environnement propice au développement des levures. Résultat : les arômes sont plus développés, le vin plus fruité, sa typicité plus marquée.»

Breveté par cette start-up à l'INPI (Institut national de la propriété industrielle), le concept de vinification musicale repose sur un procédé simple : pendant la phase de fermentation et jusqu'en début d'élevage, une musique est diffusée 20 heures sur 24 directement dans les cuves, grâce à des enceintes immergées et totalement étanches. Mais comment choisir la bonne playlist, sachant que les vignerons sont davantage habitués aux fûts de chêne qu'aux chaînes en fûts ? Si l'on en croit Swing It, le vin affectionne particulièrement la musique classique et le jazz, mais déteste le hard-rock. «Nous utilisons systématiquement le principe des cuves différenciées, détaille Sébastien Durand. Ces cuves jumelles contiennent la même vendange, la vinification est identique… Mais une cuve a chanté, et l'autre non. Quand on déguste, force est de constater que le vin est différent. Au final, le consommateur est seul juge.»

«Ce sont les vibrations qui comptent»

Adepte depuis 2015 du «vin musical», le domaine de L'Octroi, à Agde, a signé une cuvée baptisée Cap Jazz, une autre Vivald'Oc. «Mon rosé a aussi écouté du Brassens», confesse d'emblée Gérard Delort, patron de L'Octroi. Héritier d'une famille qui travaille les vignes depuis cinq générations, lui-même vigneron depuis quarante et un ans, Gérard Delort n'a pas hésité à tenter l'expérience. Et s'avoue conquis : «Au domaine, on a tous préféré le vin qui chante. On l'a trouvé plus fruité, plus frais, bien meilleur.» Comment l'explique-t-il? «C'est simple: la musique a des vertus sur les plantes, les animaux, les matières vivantes, alors pourquoi pas sur le vin… En revanche, je crois que le choix de la musique importe peu, ce sont les vibrations qui comptent.»

Situé au nord de Montpellier, au pied du pic Saint-Loup, le domaine Haut-Lirou s'est quant à lui lancé dans l'aventure il y a quelques mois seulement. Intrigués par ce procédé, et tentés par cette nouvelle expérience, les propriétaires ont souhaité que le 170e anniversaire de leur domaine soit placé sous le signe de l'innovation. «Notre dernière cuvée a été bercée par la musique de Lisa Simone, la fille de Nina. Cette chanteuse était venue cet été avec ses musiciens dîner chez nous après un concert dans la région. Nous avons donc tout naturellement choisi sa musique pour notre vin», raconte Mireille Rambier, codirectrice du Haut-Lirou.

En septembre, le raisin du domaine a été plongé dans ce bain musical le jour même des vendanges, et jusqu'en début d'élevage. Selon le protocole mis en place par Swing It, une cuve «silencieuse» contenant une récolte similaire, élevée dans des conditions semblables, a servi de cuve témoin. «Les dégustations que nous avons faites en interne avec notre œnologue sont édifiantes: le vin vinifié en musique ne présente pas le même profil aromatique, s'enthousiasme Mireille Rambier. Mon père, qui a passé sa vie dans les vignes, est autant convaincu que moi que ce procédé fonctionne.»

Un QR code en écho

Depuis 2015, quatre domaines héraultais se sont lancés dans cette aventure musicale qui leur est facturée par Swing It un euro par col (le col est la partie supérieure d'une bouteille, et est également utilisé pour comptabiliser ses dernières donc). Chaque domaine bénéficie d'une exclusivité sur son territoire. «Notre concept comprend un environnement connecté : un QR code figurant sur les étiquettes de chaque bouteille vinifiée en musique permet aux consommateurs d'écouter les mélodies qui ont rythmé la vinification du vin», ajoute Sébastien Durand.

Les sceptiques peuvent ricaner, force est de constater que la vinification musicale fait beaucoup causer et attire de nombreux curieux. Dans les domaines partenaires de Swing It, les visites des caves en musique sont déjà organisées ou le seront bientôt. «Parmi les vignerons, quand on leur parle de ce procédé, beaucoup n'y croient pas, reconnaît Gérard Delort, du domaine de L'Octroi. Il n'empêche que les touristes, eux, sont intéressés, mais aussi séduits.»

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