Les formations à la comédie musicale en France : sous les paillettes, la jungle

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Les formations à la comédie musicale en France : sous les paillettes, la jungle

Par
Ivan Romano
Ivan Romano
© Getty

La comédie musicale est à la mode et le genre séduit de plus en plus de jeunes. Peut-on s'y former en France ? Comment ? Quels sont les pièges à éviter ? Tour d'horizons des expériences de jeunes artistes et de professionnels.

Comment se former à la comédie musicale en France ? Le genre, importé des pays anglo-saxons, est en pleine explosion depuis une quinzaine d’années : Grease, West Side Story, Wonderful town , Singin’in the Rain, Les Demoiselles de Rochefort, Bodyguard, ne sont que quelques temps forts de la saison cette année. Encore loin de l'offre d'un West End londonien ou d'un Broadway newyorkais, Paris se forge petit à petit une place dans le paysage très international de la comédie musicale. « Une vingtaine de spectacles musicaux tout public en moyenne sont montés tous les ans, nous apprend Marie-Mathilde Heurtematte dans son mémoire Modèle de la comédie musicale en France (2016). Marie-Mathilde connaît bien le milieu. Elle a découvert la comédie musicale grâce aux ateliers à l'école primaire et ensuite au collège, et s'y est consacrée ensuite dans un cadre amateur. Aujourd’hui, elle fait partie de l’association Music’All qui monte des comédies musicales en intégrant les enfants à déficience intellectuelle.

« Les représentations sont financées principalement par la vente des billets dès lors la comédie musicale doit rencontrer un réel succès pour durer et être rentable. La comédie musicale possède un statut économique qui lui est propre : il s’agit d’un véritable impératif commercial, un showbusiness ».

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Le monde pailleté et swinguant de la comédie musicale tourne à la rentabilité, et le spectateur est roi. Une réalité qui influence non seulement la place du jeune artiste sur le marché du travail, mais aussi son parcours en amont. D'où viennent ces jeunes artistes et comment se forment-ils ?

« Pendant longtemps on se formait en prenant des cours différents pour chaque discipline : chant, théâtre, danse, explique Marie-Mathilde Heurtematte. « Lorsqu’il est devenu clair à tout le monde que c’était un genre en expansion, les formations se sont organisées un peu partout : de nombreuses écoles privées, conservatoires (plus rares), mais aussi les écoles de formation artistique existantes se sont mises à ouvrir les options en comédie musicale, notamment à Paris qui reste le centre d’activité » relève Marie-Mathilde Heurtematte.

Charlotte se destinait à devenir professeure des écoles, lorsqu’une envie de passer un peu de temps à pratiquer différents arts de la scène l’a amenée sur le chemin de la comédie musicale. « Je n’avais pas une formation artistique particulière, témoigne-t-elle. La comédie musicale m’a attirée parce que c’est un genre pluridisciplinaire. J’ai auditionné à l'nstitut supérieur des arts de la scène Rick Odums, une école de danse qui a ouvert il y a quelques années un cursus dédié. J’ai été prise aux côtés de candidats qui avaient soit un passé en théâtre, soit en danse, soit en musique ». Charlotte ne se laisse pas impressionner, elle travaille assidûment pendant une année, avant de commencer à passer des auditions, et les réussir : « Je n’ai pas arrêté de tourner depuis 5 ans, je n’ai même pas pu véritablement finir mon école. Mais elle m’a donné d’excellentes bases. »

Contrairement à Charlotte, David Alexis, qui tient actuellement un des rôles solistes dans Priscilla folle du désert, a fait ses armes en accumulant les cours privés en différentes disciplines, jusqu'à intégrer la très réputée école de théâtre Jacques Lecoq. « Lorsque je commençais il y a vingt ans, c’était la seule option. Aujourd’hui, les écoles spécialisées permettent de réunir sous un même toit les professionnels de toutes les disciplines qu'il faut maîtriser, d’obtenir une certaine homogénéité de l’enseignement. Et aussi, de cibler en fonction de ce qui est demandé à l’artiste dans une production », estime-t-il.

L'affaire est dans la poche

Une dizaine d’écoles privées spécialisées existent aujourd’hui, ainsi que des écoles de danse ou de théâtre qui ont développé un cursus optionnel en comédie musicale. Les étudiants sont formés pendant deux ou trois ans et sortent avec un certificat de formation. Danse classique, modern jazz, claquettes, cours de technique vocale et chorale, cours d’interprétation, théâtre classique et clown : la maquette des formations proposées annonce un cursus chargé.

Pendant la durée de la formation, les étudiants sont autorisés à passer des auditions, sans être pour autant encouragés à le faire. « Nous incitons nos étudiants à finir leur cursus pour arriver à un niveau abouti avant de se frotter à la réalité professionnelle », confirme Pierre-Yves Duchesne, directeur et fondateur de l’AICOM, qui a été la première école dédiée à la comédie musicale, ouverte en 2004, et aujourd'hui la plus importante en nombre d'inscrits. « Les profils de nos candidats sont très variés. Ils ont majoritairement entre 18 et 25 ans, dont un tiers vient de l’étranger . Il y en a qui viennent avec un bagage artistique, et d’autres qui intègrent notre école en débutants. Il n’y a pas de profil-type ».

Quant aux écoles artistiques qui ajoutent à leur cursus existant une formation en comédie musicale, elles attirent souvent les profils qui souhaitent approfondir une discipline artistique en particulier. Comme les fameux Cours Florent, par exemple, qui proposent également une option « comédie musicale ». Le Belge Alexandre Faitrouni, qui est actuellement à l'affiche dans Grease, a intégré cette formation, où il enseigne aujourd’hui, pour profiter de la tradition théâtrale française. « Le cursus reste axé sur le théâtre, mais on y enseigne la technique vocale, le solfège, la technique chorale et différents types de danse. Nous formons les étudiants à être aptes à jouer au théâtre, mais aussi dans la comédie musicale. Ce qui nous intéresse, ce sont des personnalités un peu touche-à-tout qu’on peut développer, parfois ils ont des voix un peu fragiles, mais une présence scénique intéressante », explique-t-il.

Les écoles et cursus spécialisés en comédie musicale coûtent en moyenne entre 3 500 et 5 000 euros par année. La contrainte financière oblige beaucoup d’étudiants à travailler en parallèle, tout en suivant un emploi de temps hebdomadaire très chargé. Seul le Conservatoire Nadia et Lili Boulanger dans le 9e arrondissement de Paris propose un parcours public dédié à la comédie musicale. Fondé il y a vingt ans par Marc Chevalier, il a la particularité de proposer (en échange des frais d'inscription au conservatoire) un enseignement ancré dans la tradition du théâtre musical français des années 1920. « Le grand avantage de notre cursus est la transdisciplinarité. Les étudiants en fin de cycle doivent monter un projet scénique et le font avec des étudiants instrumentistes. Ce sont de vrais spectacles joués devant un public, explique Manon Landowsky, professeure de chant. « A la fin du cursus, reconnu par la ville de Paris, les étudiants reçoivent un Certificat d’études en comédie musicale », conclut-elle.

Sous les paillettes, la jungle

Que deviennent les jeunes diplômes des écoles spécialisés ? Comme Charlotte, ils courent les auditions entre deux productions, ou s'orientent vers d'autres disciplines artistiques avoisinantes.

« Je commence à démarcher un mois avant la fin d'une production, pour repérer les auditions, raconte la jeune femme. Je vis grâce au système d'intermittence, et je continue à me former à d'autres disciplines qui me permettent de diversifier mon profil. Ce qui est dur, c’est de se dire après chaque spectacle, qu’il faut repartir à zéro, repasser les auditions. Ce n’est pas un milieu qui fonctionne par bouche à oreille comme le cinéma, il faut de nouveau faire ses preuves à chaque nouvelle production ».

Selon Charlotte, sur les quinze diplômés de sa promotion, seulement quatre sont restés dans la comédie musicale. Certains essayent de percer dans la chanson, d'autres encore retournent sur les planches, comme Eva, qui, après avoir fait la formation des Cours Florent, s'oriente de plus en plus vers la mise en scène et essaye de monter ses propres spectacles. « C’est un milieu très dur, il faut y aller au culot, s’accrocher parce que la concurrence est rude. Le genre est toujours sous-exploité en France, parce que les producteurs ne sont jamais sûrs qu’une production rencontrera son public. Mais il y a de la place pour la création », estime-t-elle.

En moyenne, entre 1 500 et 2 000 personnes auditionnent pour une production qui comporte au total une vingtaine d'artistes, précise Rabah Aliouane, directeur de casting chez Stage Entertainment, producteur principal pour la France des spectacles anglo-saxons à grand succès, comme Le Roi lion ou Le Fantôme de l'opéra. Calqués sur le modèle original produit à Londres ou à New York, pour ces spectacles Rabah Aliouane cherche majoritairement les profils parfaitement performants dans les trois disciplines. Un niveau qui reste une denrée rare parmi les jeunes artistes qui sortent des écoles spécialisées parisiennes. « Ces écoles ont le mérite d'exister, bien évidemment. Mais il ne faut pas se leurrer, raconte le producteur. Devenir un artiste complet : bon comédien, danseur et chanteur, cela ne s'apprend pas en deux ou trois ans de cours parsemés par-ci par-là dans la semaine. Pour maîtriser les trois, il faut avoir investi des années de travail intensif, aussi bien technique qu'interprétatif ». Des critères que Rabah Aliouane fonde sur son propre expérience : « Lorsque je débutais, je dansais cinq à huit heures par jour, et cela pendant plusieurs années, je prenais les cours particuliers de technique vocale et j'avais mon coach de théâtre toutes les semaines. Il faut quinze ans de travail assidu pour devenir un bon danseur, par exemple.»

Les bêtes de scène

En France, Selon Manon Landowsky, on commence à se former trop tard pour avoir une vraie polyvalence dans toutes les disciplines touchant à la comédie musicale, ce que confirme Laurent Valière, producteur de 42e rue, émission hebdomadaire spécialisée en comédie musicale sur France Musique. « Le niveau d'exigence artistique n'est pas le même en France qu'à Londres ou à Broadway. Les artistes formés là-bas sont à la fois bons comédiens et excellents chanteurs et danseurs, et quand ils intègrent une école, ils ont déjà d'excellentes bases. Mais le musical fait partie de leur tradition et ils en chantent déjà à l'école, » conclut-il. D'autant plus que de nombreux candidats choisissent ce parcours sur une fausse idée qu'ils se font du milieu.« Les émissions de télé-réalité, telle The Voice, véhiculent souvent l'image d'un genre où tout le monde peut y arriver en peu de temps, il suffit de savoir un peu chanter et se bouger dans le rythme, souligne David Alexis qui travaille comme interprète depuis vingt ans. Or, c’est un métier très dur, qui exige une force mentale et une endurance physique exceptionnelles. Il faut être réactif et disponible, évoluer sans cesse et ne jamais arrêter de se former. Et respecter une hygiène de vie et une discipline de fer pour pouvoir assurer 450 représentations sur une production - c'est un rythme d'athlète ».

42e rue
59 min

Selon Rabah Aliouane, il faudra attendre encore dix ou quinze ans avant que les jeunes talents formés en France deviennent concurrentiels sur le marché international : « Trente ou quarante musicals tournent à Broadway ou à West End en même temps, alors que Stage Entertainment est le seul employeur pour ce type de productions en France. Plus il y aura de spectacles de qualité en France, plus les écoles spécialisées pourront être exigeantes et former de jeunes artistes polyvalents, rompus aux auditions et prêts à monter sur scène pour incarner n’importe quel rôle. » Et le partenariat qui vient d'être signé entre la Stage Entertainment (propriétaire du théâtre Mogador parisien) et le Cours Florent Comédie Musicale en serait une première étape : dès la rentrée 2018, le producteur et l'établissement de formation mettent en place la Classe Libre Comédie Musicale, une formation intensive et gratuite de huit mois, qui permettra aux talents émergents sélectionnées sur audition, de se perfectionner avec de meilleurs professionnels du milieu .

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