Les deux sœurs reviennent d’un rendez-vous à l’ambassade des Etats-Unis pour obtenir un visa. « J’ai répondu au mec de l’immigration sur le même ton sec qu’il a employé pour me parler », explique l’intrépide Naomi. La douce Lisa-Kaindé la sermonne : « Tu n’aurais pas dû ! » Le 1er mai, leur duo, Ibeyi (« jumelles » en yoruba, la langue d’une ethnie très présente au Nigeria), est attendu sur scène à New York pour accompagner la sortie de leur troisième album, Spell 31, à paraître cinq jours plus tard. Celui-ci a été enregistré en Angleterre, entre le studio du Dorset de leur producteur Richard Russell et le Londres cosmopolite où vit aujourd’hui Lisa-Kaindé.
Fort du succès de leurs premiers albums, Ibeyi, en 2015, et Ash, en 2017, et de la reconnaissance de leurs pairs – de Beyoncé, qui les invitait sur son film promotionnel de l’album Lemonade, à Orelsan, qui les accueille sur le titre Notes pour trop tard –, les sœurs Diaz publient un disque imprégné du son londonien d’aujourd’hui. Les deux jeunes femmes de 27 ans y convient le rappeur britannique Pa Salieu, chantre de la drill britannique, et la chanteuse soul Jorja Smith. Autant de signes de la notoriété mondiale des deux sœurs et de leur reconnaissance dans le monde anglo-saxon, fait rarissime pour des artistes françaises.
Leur projet a résisté à tout
Spell 31 met toujours autant en avant leurs racines cubaines et yoruba et célèbre enfin leur gémellité avec le morceau Sister 2 Sister. « C’était vraiment une chanson spéciale à écrire, explique Lisa-Kaindé. Je me suis dit : “Ça fait dix ans qu’on fait de la musique et nous n’avons jamais composé une chanson sur nous deux.” Nous en avions écrit pour notre père, notre grande sœur [décédée en 2013], notre mère, nos amoureux… mais nous n’avions jamais pris le temps de nous célébrer alors que, quand même, la base de toute cette histoire, c’est notre gémellité. »
Leur projet musical a résisté à tout : le tourbillon du succès, les voyages incessants, les concerts forts en émotions, les confinements… Leur ego n’a pas tout fait exploser en vol comme ce fut le cas pour les frères Gallagher d’Oasis. Au contraire, elles tiennent bon parce qu’elles sont sœurs : « C’est un métier très difficile, plein de doute, de peur, et aussi de moments extraordinaires hors du commun. ça peut te faire péter les plombs parce qu’il y a des hauts et des bas en permanence, reconnaît Lisa-Kaindé. A deux, on se rattrape, on se fait redescendre, on est plus fortes. »
Côté artistique, les jumelles, nées le 13 décembre 1994, ont de qui tenir : leur père était le percussionniste cubain Anga Díaz, membre des groupes Irakere et Buena Vista Social Club. Mais elles n’ont que 11 ans quand il meurt. Neuf ans plus tard, elles enregistrent leur EP, Oya, riche de l’éducation inculquée par leur mère d’origine vénézuélienne et tunisienne, qui leur a imposé le conservatoire après l’école – piano et chant jazz pour Lisa-Kaindé, percussion classique pour Naomi –, l’étude des chants folkloriques yoruba et les voyages annuels à Cuba alors qu’elles vivent à Paris, dans le 14e arrondissement.
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