Jiří Bělohlávek était aux commandes de l’Orchestre Philharmonique de chambre de Prague dans l’Etude pour orchestre à cordes du compositeur Pavel Haas. On va quitter le camp de Terezin ou Theresienstadt, aux allures de camp modèle – c’est en tout cas ce que les nazis ont voulu faire croire au monde – en y accueillant principalement les intellectuels, les artistes et les célébrités et en leur permettant de poursuivre leurs créations artistiques, pour un autre camp, sans doute le plus tristement célèbre, c’est celui d’Auschwitz-Birkenau. On le sait maintenant, la musique y était présente et même institutionnalisée, pour accompagner les départs et les retours du travail, mais aussi les visites officielles ou pour la simple distraction des gardiens et des officiers. Et il existait notamment un orchestre de femmes, créé en 1943 et qui était piloté par une certaine Alma Rosé. Si le prénom vous fait penser à l’épouse de Gustav Mahler, eh bien dites-vous que cette Alma Rosé était la nièce du célèbre compositeur. Elle dirigeait déjà à Vienne un orchestre exclusivement féminin (avec un certain succès, il faut le dire), et quand elle est arrêtée et déportée en juillet 1943, on lui assigne assez vite la direction d’un orchestre qui avait été créé quelques mois plus tôt, ce sera l’Orchestre des femmes d’Auschwitz, actif jusqu’en janvier 1945. Jouer dans un orchestre à Auschwitz ne plaisait pas à tout le monde : cela équivalait – pour certains – à mettre l’horreur absolue en musique, mais il faut bien se rendre compte que la pratique de la musique, outre le fait d’offrir la seule évasion possible dans ce genre de circonstances, eh bien pouvait aussi vous sauver la vie tout simplement : les membres des orchestres se voyaient par la force des choses (et pour pouvoir exercer leur fonction) protégées de l’extermination ou des travaux forcés (en tout cas jusqu’en janvier 1945). Alma Rosé va donc prendre la tête de l’Orchestre des femmes d’Auschwitz, et, dès son arrivée, elle va en doubler, voire en tripler l’effectif, qu’elle va recruter elle-même. Une tâche lourde puisqu’elle savait pertinemment que celles qu’elle ne prendrait pas seraient vouées à une mort certaine. Alma Rosé engageait des musiciennes mais aussi des copistes pour réaliser des partitions d’orchestre qu’elle leur dictait soit de mémoire, soit qu’il fallait réaliser à partir de transcriptions pour piano fournies par les SS. Les musiciennes étaient installées dans un espace un peu privilégié par rapport au reste du camp : elles avaient le droit de se laver, d’avoir des sous-vêtements, des draps, des couvertures. Alma Rosé aura même droit à sa propre cellule de 2 mètres et demi sur 3, ce qui lui sera reproché d’ailleurs, tout comme son intransigeance au travail : elle n’hésitait pas à sévèrement réprimander la moindre fausse note, le moindre mauvais comportement. Mais son caractère de fer s’appliquait aussi à ses gardiens puisque, si l’une de ses musiciennes était malade, elle négociait fermement avec ses geôliers un suivi médical sérieux, au nom de la survie de l’orchestre. C’est une exigence qui a donc sans doute sauvé des vies, mais aussi en tout cas permis à certaines de se détourner ou d’oublier un temps les horreurs auxquelles elles étaient confrontées en permanence. Alma Rosé est morte dans des circonstances assez mystérieuses en avril 1944. On dit qu’elle aurait été empoisonnée par la femme du Commandant du camp Joseph Kramer, mais on n’en connaîtra probablement jamais les circonstances exactes. Alma Rosé aura néanmoins réussi – au cœur de l’horreur et par son engagement musical – à sauver de nombreuses vies.