En symphonie ou en vinyle : la musique de jeux vidéo enfin reconnue comme un genre musical à part entière

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En symphonie ou en vinyle : la musique de jeux vidéo enfin reconnue comme un genre musical à part entière

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Le "Distant Worlds : Music from Final Fantasy", joué en France en 2016, 2018, 2019, 2021 et qui sera de retour à l'affiche en 2023.
Le "Distant Worlds : Music from Final Fantasy", joué en France en 2016, 2018, 2019, 2021 et qui sera de retour à l'affiche en 2023.
- 2001-2004, 2013 SQUARE ENIX CO, LTD

Après les Chorégies d'Orange en 2021, la musique de jeux vidéo s'invite aux prestigieuses BBC Proms à Londres ce lundi avec un concert symphonique des grands airs de Battlefield et Zelda. Une première pour le festival, qui témoigne de la reconnaissance populaire mondiale que gagne le genre musical.

C'est l'un des grands évènements de musique classique au Royaume-Uni. Tous les ans depuis 1895, les BBC Proms, une série de concerts quotidiens pendant huit semaines l'été, présentent un large programme de spectacles dans la célèbre salle du Royal Albert Hall de Londres. Mais cette année et pour la première fois de l'histoire, cette véritable institution du classique s'ouvre à un genre musical qui gagne de plus en plus en reconnaissance populaire dans le monde entier : les musiques de jeux vidéo.

El il n'y a pas que là-bas que ces compositions qui accompagnent vos jeux préférés depuis les années 80 gagnent leurs lettres de noblesse. En France, les Chorégies d'Orange ont fait la même chose en 2021. Aux États-Unis, une catégorie "Meilleure bande originale de jeux vidéo" fera son apparition dès l'année prochaine aux Grammy Awards. Et de plus en plus de ces Bandes originales sortent en CD et Vinyles. Une forme de reconnaissance de la part des professionnels et du public, qui existait déjà au Japon depuis 30 ans, mais gagne enfin les autres continents.

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"J'ai eu l'impression de m'atteler à une symphonie"

Le spectacle "La symphonie des jeux vidéo" a non seulement été joué aux Chorégies d'Orange en 2021, festival référence en opéra et musique classique créé en 1869 plutôt habitué aux partitions de Rossini, Verdi et Bizet, mais il a aussi été capté et diffusé le 8 juillet dernier sur France 5, en prime time. Une double première, pour le festival et pour France Télévisions. Une heure de grande écoute et un lieu, le théâtre antique d'Orange, pour le moins surprenant pour entendre des musique de Street Fighter 2, Assassin's Creed, God of War ou encore Ori and the Blind Forest, réinterprétées par un orchestre symphonique, avec les images des jeux en question qui défilaient sur un écran géant.

C'est d'abord la rencontre de deux mondes. Le chef d'orchestre de ce soir-là, Victor Jacob se souvient : "L'Orchestre de Marseille a été vraiment exceptionnel dans le sens où ils ont joué ça comme ils joueraient la plus 'sérieuse' des symphonies". "Les musiques qu'on a interprétées pour la Symphonie des jeux vidéo étaient la plupart des découvertes", raconte le jeune trentenaire qui avait seulement des souvenirs de jeux vidéo mythiques comme Tomb Raider, Street Fighter ou Tetris et en a donc profité, "avec grand plaisir, je vous le cache pas", pour se faire prêter une console de jeux pour l'occasion. "J'ai découvert des compositeurs exceptionnels. La musique jeu du jeu Ori du compositeur Gareth Coker, j'ai trouvé ça absolument magnifique. Franchement, j'ai eu l'impression de m'atteler à une symphonie. Ça m'a fait penser à une symphonie de Sibelius avec des couleurs, une orchestration très poussée et à chaque mesure une ambiance différente, comme avec l'inspiration d'un grand compositeur."

"On a senti une écoute exceptionnelle de la part du public", assure Victor Jacob. Mais de quel public s'agissait-il là-bas ? "Il y avait des gens déguisés, on voyait vraiment que les gens étaient venus en famille et à 100 % pour passer un bon moment. Les fans sont subjugués parfois par les moyens qu'on va mettre pour leur reproduire des petites madeleines de Proust comme ça." Des fans de jeux vidéo donc, mais pas forcément les habitués des spectacles classiques donnés aux Chorégies. "Malheureusement, je pense que les musiques de jeux vidéo, même si elles peuvent être passionnantes et magnifiques, comme les musiques de films dont leurs compositeurs font des concerts pleins dans des salles comme la Philharmonie de Paris, ça réunit quand même avant tout des fans. Un public qui a des madeleines en fait, des choses qui leur rappellent les heures qu'ils ont passées devant jeu." Attirer un public au-delà des nostalgiques ? Le maestro en doute.

La France rattrape son retard

Peu importe si de véritables passerelles se forment entre le public du classique et le monde des jeux vidéos, les spectateurs de cette niche sont déjà là et de plus en plus nombreux. Romain Dasnoy est l'un des fondateurs d'Overlook Events, qui produit des spectacles mêlant musiques de films ou musiques de jeux vidéos, images et orchestre, depuis le début de la décennie 2010. Dernière production en cours de création : "Assassin's Creed Symphonic Adventure", un concert symphonique immersif, scénarisé, pour fêter les 15 ans du célèbre jeu vidéo édité par le géant français Ubisoft, Assassin's Creed, présenté au Grand Rex à Paris le 29 octobre avant d'être joué ailleurs dans le monde.

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"Il faut bien souligner que la musique de jeux vidéo jouée en concert, ce n'est pas de la musique de jeux vidéo, c'est de la musique tout court. Ce n'est pas ce qu'on entend dans les jeux. Ça peut être très proche évidemment, mais on est sur une expérience de concerts", explique Romain Dasnoy, qui voit d'un bon œil que de plus en plus de grands orchestres et de grands festivals de musique classique montrent un intérêt pour toutes ces musiques. En Europe, les tout premiers concerts du genre remontent au début des années 2000 en Allemagne, avec les "Symphonische Spielemusikkonzerte" fondées par un producteur nommé Thomas Böcker. Mais au Japon, pratiquement dès la création des jeux vidéo, les bandes originales sont reconnues comme des compositions élaborées et leurs créateurs de véritables compositeurs. Les premiers concerts symphoniques de musiques de jeux vidéo là-bas remontent à la fin des années 80. L'Europe, et la France notamment, rattrape petit à petit son retard depuis dix ans.

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Le fait que BBC Proms ou les Chorégies d'Orange en programment aujourd'hui, même si "il y a quand même des considérations qui sont purement commerciales" selon Romain Dasnoy, c'est tout de même une reconnaissance bienvenue et coup de projecteur non-négligeable : "Ça permet de faire reconnaître des artistes qui sont souvent méconnus, pas considérés à leur juste valeur, alors qu'un compositeur de musique de jeux vidéo, c'est un compositeur tout court qui a autant sa place en salle de concert que quelqu'un d'autre." Un début de reconnaissance était déjà perceptible avant en France, quand en 2017 la Philharmonie de Paris avait consacré aux bandes originales de jeux vidéo un week-end thématique avec expositions et concerts.

Des vinyles comme des goodies

Plus largement, la musique de jeux vidéo, quelle soit orchestrale ou non, semble aussi trouver son public à travers l'objet : CD et vinyles. "Il y en a vraiment de plus en plus. Il y a même, au-delà de la musique du jeu vidéo lui-même, il y a carrément des hommages aux musiques de jeux vidéo qui sortent en vinyles, c'est-à-dire des réinterprétations symphoniques, électroniques", explique Toma Changeur, dont les bacs de son magasin parisien, Balades Sonores, comptent de nombreuses références, comme Streets of Rage, Shinobi, Doom, et ce depuis 2015. On achète son vinyle de Zelda comme on achète n'importe quels goodies, figurines, peluches, etc : "Ça accompagne, en parallèle, le renouveau du vinyle. Les amateurs de jeux vidéo aiment les objets puisqu'ils ont des consoles, ils ont des jeux et et ils sont ravis de pouvoir agrémenter leur collection de jeux vidéo avec les musiques." Plusieurs labels, à travers le monde, Black Screen iam8bit, Data Disc se sont donc spécialisés sur le segment, qui est l'un des nouveaux marchés de niches en grand développement comme celui de la musique de films.

Kid Katana Records est l'un de ces labels, lancé par des Français en mai dernier à l'occasion de la sortie d'une première bande originale de jeu vidéo accompagnant l'un des gros succès de l'année : "Teenage Mutant Ninja Turtles : Shredder's Revenge". "On se rend compte que le volume des sorties de musique de jeux vidéo a beaucoup augmenté ces dernières années. Maintenant, systématiquement, quand un jeu sort, il y a le package complet, avec la B.O qui sort à minima en digital, voire en physique et en digital", constate l'un de ses fondateurs, Rémy Dahi. "C'est pour ça que pour nos bandes originales, on va chercher des artistes qui ne sont pas forcément issus du jeux vidéo. On va chercher Mike Patton [chanteur américain de Faith No More - Ndlr], Raekwon et Ghostface Killah du Wu-Tang Clan, qu'on n'entendrait pas forcément sur du jeu vidéo à la base. Pour nous, la B.O. ça doit être un album en tant que tel, et qu'on peut apprécier même si on n'a pas joué au jeu."

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"Le grand public et l'industrie prennent ce genre musical de plus en plus au sérieux", analyse t-il. La cérémonie des Grammy Awards, grand raout de l'industrie musicale aux États-Unis, aura d'ailleurs dès l'année prochaine une catégorie "Meilleure bande originale de jeux vidéo" : "C'est une reconnaissance de l'importance de ce genre qui, on va dire, n'a rien à envier à une musique de film ou à une musique 'traditionnelle'."

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