Avec Anipo, la lutte contre le vol d’instruments de musique s’organise

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Avec Anipo, la lutte contre le vol d’instruments de musique s’organise

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L'alto MacDonald de Stradivarius estimé à plus de 32 millions d'euros
L'alto MacDonald de Stradivarius estimé à plus de 32 millions d'euros
© AFP - Bertrand Guay

Parmi les nombreux événements proposés par le salon Musicora, qui se tient ce week-end à la Seine Musicale, une table ronde sur la lutte contre le vol des instruments. En tête, l’application française Anipo qui propose une identification numérique pour compliquer la revente.

La plupart des musiciens vous le diront. Leur instrument est souvent considéré comme un membre à part entière, comme un prolongement de leur corps. Certains vont encore plus loin en le considérant comme un être vivant, comme un enfant. 

A partir de ce point de vue, on comprend aisément en quoi le vol d’un instrument de musique pose problème. Si certains d’entre eux peuvent valoir cher, voire très cher – ce qui explique l’intérêt des voleurs – c’est principalement l’attachement affectif qui est mis à rude épreuve en cas de larcin. 

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Voici ce qui a décidé Cyrille Gerstenhaber, chanteuse et gambiste, à créer Anipo. En transit dans une gare suisse avec les membres d’un ensemble baroque, elle n’avait pas souhaité confier sa viole de gambe à ses collègues pour aller acheter du chocolat. 

« Je ne voulais pas prendre le moindre risque, et surtout le faire porter à d’autres. Avec ma viole de gambe sur le dos, en direction de la boutique de chocolat, je me suis dit qu'il était quand même dingue que rien n’existe pour protéger nos instruments et dissuader les voleurs ! ». Quelques mois plus tard, dans le courant de l'année 2016, l’application Anipo voyait le jour.

L’idée est plutôt simple : proposer gratuitement aux musiciens du monde entier de créer une fiche d’identité numérique de leurs instruments. Photos, notamment des veines du bois pour les cordes, qui sont uniques, à l’image des empreintes digitales, numéro de série, lorsqu’il y en a un. 

« Premièrement, si jamais vous vous faites voler, vous pouvez très rapidement le faire savoir sur l’application. Deuxièmement, si vous souhaitez acheter un instrument d’occasion, vous pouvez très simplement vérifier son historique, et ne pas vous retrouver impliqué inconsciemment » explique Cyrille Gerstenhaber. 

Les luthiers en première ligne contre le vol

Selon la récente étude du Credoc, commandée par le ministère de l’économie et la chambre syndicale de la facture instrumentale, 1,6 millions d’instruments de musique sont vendus en moyenne chaque année en France. 400 000 d’entre eux sont de seconde main. Il peut donc être parfois compliqué de connaître ce que l’on achète. Les luthiers qui pratiquent le rachat d’instruments, sont les mieux placés pour le dire. 

C’est d’ailleurs à l’un d’entre eux, Cédric, spécialisé dans les instruments à vent, qu’Anipo doit son premier et seul succès pour l'instant. Grâce à son savoir-faire et sa présence d'esprit, il a permis à une propriétaire de retrouver sa flûte traversière volée. 

La scène se passe au mois d’août 2018. Un homme et une femme franchissent la porte de son atelier parisien. Ils souhaitent vendre une flûte traversière ayant appartenu à la belle-mère de la femme. « C’est un des grands classiques, sourit Cédric_. On nous explique que l'instrument vient d'être récupéré suite à un héritage, qu’il prenait la poussière au grenier et qu’on veut le vendre rapidement. Le problème, c’est que nous voyons tout de suite si l’instrument est vraiment vieux et s'il n’a pas été joué depuis longtemps_ ».

Coup du hasard, la veille, Cédric est tombé sur un post Facebook relayant une alerte Anipo. Après le cambriolage d’un appartement parisien, une flûte traversière est déclarée volée. « J’ai tout de suite tiqué. La marque de l’instrument était la même et les deux personnes devant moi n’avaient pas un comportement normal. Je leur ai proposé de garder la flûte à l’atelier pour que mon collègue en charge des ventes puisse faire une estimation. Evidemment, ils ont refusé », explique le luthier. 

Cédric les envoie chez des confrères et consœurs situés dans la même rue. Il espère ainsi qu’ils resteront dans les parages pendant qu’il ira comparer le numéro de série qu'il a mémorisé, avec celui indiqué dans l’alerte Anipo. 20 minutes plus tard, le couple est de retour. L’un des magasins était fermé pour congés, l’autre ne leur proposait que du dépôt-vente, c’est-à-dire laisser l’instrument mais ne recevoir l’argent que si la vente se fait. 

« Ils voulaient l’argent tout de suite. Ils sont donc revenus à l’atelier. Ils ne voulaient toujours pas me confier la flûte mais m’ont proposé de le prendre en photo. C’était inespéré ! » se souvient Cédric. Grâce aux photos du numéro de série, il tenait enfin la preuve qu’il s’agissait bien de la flûte en question. Le luthier explique aux deux personnes qu’il va voir ce qu’il peut faire et les rappellera. 

Sitôt sortis de la boutique, Cédric compose le 17. La police lui envoie un agent, qui se présente à peine trois minutes plus tard. Le luthier, stupéfait de la rapidité de la réaction des forces de l’ordre, explique la situation à l’agent. « Je lui montre l’alerte Anipo, les photos prises plus tôt. Il n’y a plus de doutes. Le policier me demande de rappeler les deux personnes pour leur dire que j’étais intéressé. Au téléphone, je leur propose un montant vraiment alléchant pour être sûrs qu’ils reviendront (la flûte traversière en question était estimée environ 3 000 euros, ndlr). A peine, 20 minutes plus tard, les voilà de retour » poursuit le luthier parisien. 

Le policier, habillé en civil, est resté dans l’atelier, se comportant comme un client lambda. Deux autres agents sont sur le trottoir, devant l’échoppe. « Ils avaient besoin de les prendre en flagrant délit. J’ai donc fait semblant de leur proposer une transaction. En quelques secondes, ils se retrouvaient tous les deux les menottes au poignet » explique Cédric. 

Anipo, service encore jeune mais prometteur

A l’heure actuelle, il ignore toujours si un procès a eu lieu, il n’a pas été appelé à témoigner. Il se souvient simplement que deux jours après cet événement, la propriétaire de la flûte s’est présentée à son magasin pour le remercier et pour lui dire qu’elle avait récupéré son instrument. 

« Une jeune femme de 25 ans environ. Elle avait reçu sa flûte à l’âge de 18 ans et y tenait énormément. Depuis ce jour là, je conseille à tous mes clients de s’inscrire sur Anipo. Et je vais régulièrement jeter un œil sur les dernières alertes de vol » conclut Cédric. 

Anipo est encore un jeune service de lutte contre le vol mais sa fondatrice entend bien faire grandir son bébé. « Plusieurs luthiers vendent leurs instruments déjà inscrits dans Anipo. Cela agit exactement comme une voiture déjà vendue avec un système d’alarme. Nous proposons des étiquettes à accrocher aux étuis sur lesquelles on peut lire « protected by Anipo », cela a un effet dissuasif très fort. Selon plusieurs études, cela permet de faire baisser le risque de vol de 70 à 100% » explique Cyrille Gertenhaber.

Application intégralement gratuite, Anipo entend trouver son modèle économique grâce au déploiement prochain d’une interface de petites annonces sécurisées pour vendre et acheter des instruments. 

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