Cinq sur cinq

Grand bruit à New York

A la fin des années 80, quelques têtes de pioche ont réinventé le rock sonore et expérimental.
par Matthieu RECARTE et Patrice Bardot
publié le 1er mars 2019 à 18h36

Vu d’ici, le miroir souvent déformant de l’histoire ne retient du New York musical de la fin des années 80-début des années 90 que l’explosion hip-hop et house. Pourtant, l’activisme était également fort du côté du «vieux» rock, avec toute une vague de formations expérimentalo-bruyantes.

1- Pussy Galore

Ce groupe à géographie et personnel variables, fondé à Washington en 1985 (on le concède), est le premier fait d'armes notable de son cerveau Jon Spencer, (grande) figure autour de laquelle s'articulent la plupart des formations dont nous allons parler ici. Très vite relocalisé à New York, Pussy Galore mixe dans un son bordélico-abrasif toutes les obsessions du guitariste-chanteur : le punk garage sixties, la musique industrielle et… les Rolling Stones. D'ailleurs, ils se font d'abord remarquer en torturant le Exile on Main Street cher à la bande à Jagger, qu'ils reprennent dans son intégralité en version noisy-punk sur une… cassette. Un carnage. On fête cette année les 30 ans de Dial M For Murder, leur troisième essai, la pierre angulaire la plus aboutie de leur discographie, toutefois décriée comme «commerciale» par leurs fans les plus hardcore. On aimerait bien connaître leur définition de la musique commerciale.

2- The Jon Spencer Blues Explosion

Lorsque Pussy Galore arrête les frais en 1990, Spencer lance ce trio en compagnie du guitariste Judah Bauer et du batteur Russell Simins. Pas la peine de chercher le bassiste, il n'y en a pas. Le premier album homonyme (1992) poursuit le travail de sape de PG en ravalant la face d'un insolent punk-r'n'b-rockabilly. Toujours très attentif à ce qui se passe en dehors de son cercle d'influence, le New-Yorkais publie deux ans plus tard le très ouvert Orange, qui lorgne autant les Beastie Boys de Paul's Boutique que le Beck de Loser. La petite bande va encore plus loin avec les remarquables Acme (1998) et Acme Plus (1999), qui accueillent en leur sein le DJ hip-hop Automator ou l'électronicien Moby.

3- Boss Hog

Une histoire de rock et… de nudité. Le rock, c'est celui de Jon Spencer et de sa femme, la chanteuse Cristina Martinez, qui juste avant la fin de Pussy Galore créent ce projet parallèle en 1989. Le couple démarre d'abord en concert, lorsque le duo profite d'un créneau de libre au dernier moment pour grimper sur la scène du CBGB avec quelques potes de Unsane et The Honeymoon Killers réunis pour l'occasion. Une performance chaotique, mais qui reste dans les annales puisque Spencer joue à poil, enfin vêtu de seules chaussettes rouges. Son épouse n'est pas en reste : elle pose entièrement nue sur la pochette de leur premier EP, Drinkin', Lechin' & Lyin'. Si les premières parutions honorent un boucan sonore entre punk et expérimentations freestyle, le projet prend un aspect plus pop (enfin c'est relatif) au tournant des années 90, avec une petite touche cold wave. Au moment même où Cristina s'habille sur les pochettes. Coïncidence ?

4- Royal Trux

Egalement guitariste et également chanteur, Neil Hagerty est un peu le double de Jon Spencer. Mêmes débuts à Washington au sein de Pussy Galore, puis déménagement à New York. Et même alter ego féminin avec la chanteuse Jennifer Herrema dans le rôle de Cristina Martinez. Sauf que leur histoire d'amour marquée par l'immuable sceau sex, drugs and rock'n'roll prend fin en 2000 après une série d'albums prétexte à multiples distorsions dont on gardera en mémoire les arabesques déjantées de Cats and Dogs (1993). Surprise, quinze ans plus tard, le duo se réunit à l'occasion du virulent White Stuff, qui étonne par la puissance de ses basses et une production façon «mur du son» qui laisse de côté le lo-fi des débuts. Mais pas question pour autant d'arrondir les angles. Rien dans ce disque n'est susceptible d'être chantonné sous la douche. On est rassuré.

5- Swans

Un qui n'arrondit pas les angles, c'est bien Michael Gira, autre personnage du New York de l'époque. Descentes de police lors des concerts pour cause de son assourdissant, échanges de coups avec le public… le leader des Swans («cygnes») est un chouïa ombrageux. Et du genre sombre, si l'on en croit les horreurs qu'il chante (ou hurle) d'une voix caverneuse un rien glaçante. Bruyant comme personne, Swans, né en 1982, a exploré à peu près toutes les marges à guitares (gothique, metal, industriel, noise…) jusqu'à son sabordage après Soundtrack for the Blind (1996), un chant du cygne (un vrai) de plus de deux heures. Parti fonder le label Young God (c'est lui qui a découvert Devendra Banhart) et se réincarner en chanteur folk avec Angels of Light, Gira réactive Swans en 2010. Et cette tête de mule planquée sous son sempiternel Stetson connaît enfin une reconnaissance méritée. «Les cygnes sont des créatures majestueuses et magnifiques. Avec un tempérament de merde», aime-t-il à répéter. Pas mieux.

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