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Comment se « remettre » à la musique ?

Apprendre le piano, la guitare ou le trombone une fois adulte peut sembler un défi insurmontable. Et pourtant. Des méthodes permettent de franchir le pas dans une dynamique de plaisir. Et en plus, c'est bon pour le cerveau !

Comment se « remettre » à la musique ?
(©Antonio Sortino pour les Echos Week-End)

Par Jessica Berthereau

Publié le 20 déc. 2019 à 01:14Mis à jour le 10 janv. 2020 à 09:34

C'est un petit livre rouge dont s'échappe une partition imprimée sur deux feuilles volantes : celle du Prélude n°1 en do majeur de Johann Sebastian Bach. L'ouvrage s'intitule How to play the piano (Quercus, 2016), c'est-à-dire « Apprendre à jouer du piano ». On me l'a offert pour mon anniversaire fin septembre. La quatrième de couverture se lit comme un poème : « Tout ce dont vous avez besoin, c'est de deux mains. Un clavier électrique ou un piano à queue Steinway, peu importe. Quarante-cinq minutes par jour pendant six semaines. Et l'envie de jouer Bach. » La promesse de l'auteur, le pianiste britannique James Rhodes, est simple : si j'y dédie trois quarts d'heure par jour, je saurai jouer ce morceau de Bach d'ici un mois et demi. Et encore, j'ai droit à un jour de pause par semaine ! « Faisable, n'est-ce pas ? », interpelle-t-il dans le chapitre introductif.

Les bases

J'acquiesce et j'attaque le deuxième chapitre en repensant à mon premier rendez-vous manqué avec le piano. J'avais 7 ans et je sortais d'une année de solfège. Etait enfin venu le temps de choisir un instrument de musique. « Lequel veux-tu apprendre ? », m'avait demandé ma mère. « Le piano », ai-je répondu sans hésiter.

Revenue du conservatoire municipal, elle m'avait dit, désolée, qu'il n'y avait plus de place dans les cours de piano. « Peut-être un autre instrument ? », m'a-t-elle alors suggéré. « Non, tant pis… », ai-je soupiré, en haussant les épaules. Des années plus tard, me revoilà donc replongée dans l'apprentissage du solfège, avec la perspective réjouissante d'avoir dès le début le droit de tâter les touches blanches et noires qui me faisaient tant rêver étant petite.

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« Allez-y doucement avec ce chapitre », prévient James Rhodes. Intitulé « Les bases », il est constitué d'une vingtaine de pages agrémentées de schémas et doit m'occuper pendant les deux premières semaines d'apprentissage. Il passe en revue la structure du piano, quelles touches correspondent à quelles notes et, surtout, comment lire la musique.

En anglais, les notes ne sont pas désignées par « do ré mi fa sol la si » mais par les sept premières lettres de l'alphabet. Des petites phrases ou mots mnémotechniques formés à partir de ces lettres me sont d'une grande aide pour (ré)apprendre à lire les notes. L'important est de tout de suite « connecter » la lecture des notes aux touches correspondantes sur le piano, insiste l'auteur. Je m'exécute avec plaisir.

Avec un prof, trouver la bonne alchimie

Elza a, elle aussi, renoué avec un « petit rêve d'enfance » en se mettant au piano il y a près d'un an. « Je voulais le faire étant jeune, mais je n'en ai jamais eu l'occasion… J'ai eu un déclic l'an dernier après un accident où je me suis cassé la jambe. J'ai réalisé que la vie pouvait changer très vite et qu'il ne fallait pas sans cesse repousser les choses que j'avais envie de faire. Et puis j'avais soudain beaucoup de temps », raconte-t-elle. Pour booster sa motivation, cette consultante dans la microfinance commence par s'acheter un beau piano d'occasion. « C'est vraiment la première chose que l'on voit lorsqu'on entre chez moi. Je passe sans cesse devant et je m'y arrête souvent, ne serait-ce que pour jouer cinq minutes. »

Elza commence son apprentissage grâce à des vidéos trouvées sur Internet. « J'appréhendais de prendre un professeur car je ne voulais pas de quelqu'un avec une approche très académique. Mais au bout d'un mois ou deux, j'étais coincée. Je suis sûre que les vidéos fonctionnent bien pour certaines personnes, mais ce n'était pas mon cas. J'ai finalement trouvé un prof avec une approche légère, un peu jazz, qui a su s'adapter à mes envies », relate-t-elle.

Malheureusement, ce dernier a dû s'arrêter au bout de quelques mois et l'alchimie n'a pas fonctionné avec le suivant. « Il était beaucoup trop ambitieux pour moi, n'était pas empathique et voulait que j'apprenne des morceaux qui ne m'intéressaient pas du tout ! » Ils en sont restés là et Elza cherche un nouveau professeur.

Un prélude de Bach

Prendre des cours a toujours semblé important pour Franck, qui s'est mis à la guitare classique en 2000. L'envie de « manipuler cet instrument », dont le son l'avait charmé en entendant un surveillant de son école en jouer, le taraudait depuis l'enfance. Mais, alors qu'il n'était âgé que d'une dizaine d'années, on lui avait dit que c'était déjà trop tard… Lorsqu'il saute finalement le pas, au milieu de la trentaine, c'est donc guidé par ce « besoin profond » jamais éteint. « J'ai pris des cours dès le début et je n'ai jamais arrêté », témoigne cet ingénieur dans l'aviation civile. « En plus de donner des conseils techniques, de souligner les progrès et de corriger les erreurs, le professeur est le seul à pouvoir proposer à son élève le bon morceau au bon moment, ce qui est capital. »

Je réalise à quel point le choix du morceau est important lorsque j'entame ma troisième semaine d'apprentissage. Le prélude de Bach en do majeur est relativement court (35 mesures) ; la plupart des mesures comportent huit notes répétées deux fois ; les deux mains sont nécessaires mais ne jouent jamais en même temps. Tout cela en fait un morceau parfait pour la novice que je suis.

Le rythme conseillé par James Rhodes est d'apprendre deux mesures par jour. Je m'y applique, déchiffrant lentement les notes et m'aidant des conseils qu'il donne pour chaque mesure. Je fais très attention à utiliser les bons doigtés, qui sont signalés sur la partition. L'auteur insiste beaucoup sur ce point : c'est selon lui la chose la plus importante lorsqu'on apprend un morceau.

Un surcroît de motivation

J'ai déjà appris une bonne moitié du prélude lorsque j'ai l'opportunité d'échanger avec James Rhodes au téléphone, qui me répond depuis Madrid où il est installé. « J'ai entendu tant de gens me dire qu'ils regrettaient d'avoir abandonné la pratique du piano à l'adolescence. C'est ainsi qu'est née l'idée d'écrire un livre qui permette à n'importe qui, même s'il n'a jamais touché un piano de sa vie, d'apprendre en quelques semaines à jouer de ce magnifique instrument », m'explique ce pianiste. Lui-même a commencé tardivement, à 14 ans, avant d'arrêter quatre ans plus tard pour ne reprendre qu'à 28 ans avec l'intention de devenir professionnel.

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C'est généralement moins facile d'apprendre en étant adulte. « L'un des défis est que le corps s'adapte beaucoup moins aux exigences de l'instrument », relève Rémy, qui s'est mis au trombone il y a près d'un an. « C'est beaucoup plus facile de développer le souffle quand on est enfant ou adolescent. »

Toutefois, ce jeune quadragénaire, qui a commencé la musique dès 7 ans, voit aussi des avantages à l'apprentissage à l'âge adulte. « On est beaucoup plus performant dans sa manière d'apprendre, parce que l'on se connaît mieux et que l'on est donc plus efficace dans son travail, mais aussi parce que la motivation est plus forte : si l'on fait le choix de se mettre à un instrument sur le tard, c'est souvent le fruit d'une mûre réflexion », souligne-t-il.

Des bénéfices cognitifs

C'est dans l'optique de travailler son souffle que Rémy, qui exerce dans le monde de l'assurance, a commencé à apprendre le trombone. « Je me suis rendu compte assez tard que j'aimais beaucoup le chant. Je ne suis pas un très bon chanteur, mais je suis convaincu que la voix est le plus bel instrument qui soit. Jouer du trombone m'aide à développer ma voix et mon souffle et m'apporte une créativité nouvelle. C'est un instrument qui permet une très grande palette d'expressivité, depuis un côté très cotonneux, soyeux, chaleureux et intimiste jusqu'au côté criard et fanfare », raconte-t-il. « Se mettre à un nouvel instrument ouvre une fenêtre d'évasion, c'est une manière d'embellir et de sublimer la réalité mais aussi de continuer à apprendre », estime-t-il.

Les bénéfices cognitifs d'un apprentissage tout au long de la vie ne sont plus à prouver. Les études qui s'intéressent spécifiquement à la pratique d'un instrument de musique montrent chez les musiciens « une augmentation de la matière grise dans certaines régions cérébrales, comme les aires auditives, visuelles et motrices, et un élargissement du corps calleux, qui relie les deux hémisphères cérébraux », rapporte Christophe Rodo, jeune chercheur en neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

Deux études se sont notamment intéressées aux bénéfices de l'apprentissage d'un instrument de musique chez les plus de 60 ans (*). « On observe chez les volontaires qui ont appris à jouer du piano pendant quatre à six mois un progrès de certaines fonctions cognitives, dont les fonctions exécutives, ainsi qu'une amélioration du ressenti émotionnel et de la qualité de vie », indique-t-il.

« comme si mon cerveau se rebootait »

Ce doctorant, qui est aussi vulgarisateur scientifique avec le podcast La Tête dans le cerveau, souligne toutefois les potentiels biais méthodologiques de ces études. Par exemple, comment être sûr que les bénéfices observés sont bien liés à l'apprentissage du piano et non au fait d'avoir, le temps de l'expérience, renoué des liens sociaux ? Par ailleurs, les mécanismes conduisant à cette amélioration des fonctions cognitives ne sont pas encore bien élucidés. L'une des hypothèses étudiées est que l'apprentissage d'un instrument de musique renforcerait la fameuse « réserve cognitive » qui rend les individus plus résistants aux dommages cérébraux, indique Christophe Rodo.

Sans que cela n'ait évidemment aucune valeur scientifique, Elza a déjà pu remarquer comment, lorsqu'elle parvient enfin à jouer un morceau particulièrement difficile impliquant les deux mains, elle arrive à résoudre plus facilement des problèmes complexes au travail le lendemain. « C'est comme si mon cerveau s'était rebooté », dit-elle en riant. Quand elle n'est pas en déplacement professionnel, elle joue du piano tous les jours quinze à vingt minutes, juste après avoir déposé son fils à l'école. « C'est une belle routine, je fais quelque chose qui me fait plaisir pour bien commencer la journée. »

La magie des duos

Pour Franck aussi, il se passe rarement un jour sans qu'il ne touche à sa guitare, en général pendant trois quarts d'heure à une heure. En commençant, il y a près de vingt ans, il n'aurait jamais cru atteindre un jour son niveau actuel. « C'est très valorisant d'arriver à jouer certains morceaux que l'on pensait inatteignables, témoigne-t-il. De plus, la pratique d'un instrument ouvre tout un parcours. Par exemple, ce n'était pas mon but initial mais j'ai eu l'occasion, par hasard, de commencer à jouer en duo. Ce fut une vraie révélation : il faut s'accorder mentalement à l'autre pour produire une seule musique. C'est à chaque fois une expérience magique et un moment de partage intense. »

Qui sait ? Je goûterai peut-être un jour à ce plaisir partagé. Pour l'instant, j'ai déjà la fierté d'avoir réussi à apprendre un beau morceau de Bach en six semaines. Comme s'enthousiasme James Rhodes, qui reçoit sans cesse des vidéos de gens parvenus au terme de sa petite méthode : « Ca marche vraiment ! » Je joue le prélude raisonnablement bien, sans faire (trop) de fautes. Mais surtout, ce premier succès m'a donné envie de poursuivre l'apprentissage du piano. James Rhodes suggère le Prélude n°4 en mi mineur de Chopin ou le premier mouvement de la Sonate au clair de lune de Beethoven. Je vais tâcher de commencer par ce dernier, que je trouve merveilleux. Et je sais maintenant quel cadeau suggérer à mes proches pour Noël : des cours de piano !

(*) Bugos, Perlstein, McCrae, Brophy, Bedenbaugh, « Individualized piano instruction enhances executive functioning and working memory in older adults », « Aging Mental Health » 11, 2007. Seinfeld, Figueroa, Ortiz-Gil, Sanchez-Vives, « Effects of music learning and piano practice on cognitive function, mood and quality of life in older adults », « Front. Psychol. » 4, 2013.

Quatre conseils de pro

Professeur de musique et diplômée d'une thèse en neurosciences et éducation musicale, Anita Collins nous livre ses conseils. « Il n'y a aucun instrument qui soit mieux qu'un autre en termes de développement du cerveau. L'essentiel est d'adopter un instrument que vous aimez vraiment et dont vous prenez plaisir à jouer. » « Avec nos vies très occupées, on a parfois du mal à persévérer. Mais tout comme on devrait faire un peu d'exercice physique tous les jours, c'est très important de jouer quotidiennement, ne serait-ce que dix minutes. C'estun excellent exercice pour le cerveau. ».« Pour obtenir des bénéfices cognitifs, il faut apprendre de quelqu'un ou dans un groupe. Plus la pratique se fait dans un cadre social, plus cela aura d'effets sur le bien-être et le sentiment de faire partie d'une communauté ». « Se livrer à des performances est très important. Cela met le corps dans un état de stress positif, auquel il répond très bien. »

Ressources en ligne

Une vidéo animée TED Ed conçue par Anita Collins, professeur de musique et diplômée d'une thèse en neurosciences et éducation musicale, présente de façon ludique les effets cognitifs de la pratique d'un instrument de musique : c'est comme si des feux d'artifice explosaient dans tout le cerveau ! ed.ted.com/lessons/how-playing-an-instrument-benefits-your-brain-anita-collinsPlusieurs sites Internet et applications, le plus souvent payants, permettent d'apprendre la musique en ligne, comme les applications Flowkey, Meludia et Note Rush, ou l'école de musique en ligne iMusic-School. Quant à la plateforme communautaire Unizic, qui sera lancée fin janvier 2020, elle ambitionne de mettre en relation professeurs et apprenants pour des cours virtuels ou de visu. Il existe de nombreux tutoriels vidéo sur YouTube pour apprendre le solfège, le piano, la guitare et bien d'autres instruments. Bien que de qualité inégale, ils peuvent servir d'introduction ou de première approche d'un instrument.

Par Jessica Berthereau

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