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Analyse

Il y a 40 ans, le Walkman sauvait aussi le format cassette

Avec la sortie du Walkman, il y a 40 ans, le format cassette connaîtra une nouvelle jeunesse. Avant de complètement s'effondrer face aux promesses lucratives du format CD.

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(Shutterstock)

Par Jean-Philippe Louis

Publié le 17 oct. 2019 à 11:06Mis à jour le 17 oct. 2019 à 14:30

Entre les mélomanes et le format cassette, l'amour dura sept ans. Sept années pendant lesquelles cette dernière dominera le secteur de la musique, selon des données de l'association regroupant les professionnels du disque aux Etats-Unis (RIAA). C'est bien peu face à la période de 68 ans de prédominance du vinyle ou encore les 21 ans d'hégémonie du CD dans les années 2000. Mais cette troisième ère de la technologie musicale aurait pu s'enrayer bien plus rapidement.

Un format révolutionnaire

Pour comprendre comment la cassette a gagné des années de survie, il faut rembobiner la bande magnétique jusqu'à l'aube des années 80. A l'époque, le monde danse sur « Bad Girls » de Donna Summer. La musique disco domine les charts. Les auditeurs veulent danser, et bouger. Mais pour cela ils doivent pouvoir écouter en mobilité. Commercialisé en 1963 par Philips, le format cassette est à l'époque une petite révolution. Elle est compacte et moins chère que les disques Vinyles. Grâce aux autoradios, elle offre déjà une certaine mobilité. L'industrie s'en empare. Aux Etats-Unis, les premiers albums sur cassette débarquent en 1966 avec des artistes comme Nina Simone, Eartha Kitt. « Les cassettes ont fait de l'album un format plus significatif », raconte journaliste culture Jude Rogers, dans les colonnes du quotidien britannique The Guardian , « comme il était plus difficile de sélectionner des pistes différentes sur la bande, alors on l'écoute en série, sans sauter les pistes, et cette idée s'est inscrite dans la culture musicale ». Dans le même temps, elle permet plus de temps d'enregistrement que le vinyle : 45 minutes pour le premier quand la cassette acceptait 45 minutes de musique par côté. La cassette apparaît dès lors comme un format novateur, celui qui servira de pont entre les disruptions à venir dans l'industrie.

Un format que les labels veulent enterrer

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Avec la cassette, c'est un changement culturel qui s'opère : les auditeurs prennent en main la technologie musicale pour composer, enregistrer, et créer leur propre playlist. C'est l'ère des mixtapes et des compilations faites main. Les premiers frémissements menant au piratage des années 2000 grâce au format téléchargement.

Les premières ébauches du futur de la musique où les artistes s'autoproduiront et distribueront eux-mêmes leur titre grâce aux plate-formes de streaming. La cassette fait naître une culture de l'« underground » avec de la musique vendue ou distribuée sous le manteau : « Pour les labels, le gros problème avec les cassettes était le fait que les consommateurs pouvaient facilement copier des disques. Le leitmotiv de l'industrie à l'époque était « les cassettes enregistrées chez soi tuent la musique », explique Mark Mulligan, spécialiste de la musique et analyste au sein du cabinet Midia Research, « lorsque le CD a été lancé, il s'agissait d'un format en lecture seule, il ne pouvait donc pas être utilisé pour copier de la musique et donc réduire les ventes d'albums ».

Le leitmotiv de l'industrie à l'époque est les cassettes enregistrées chez soi tuent la musique

Mark MulliganAnalyste chez Midia Research

Au début des années 1980 quand apparaît le format CD, les professionnels sautent donc sur l'occasion pour une éventuelle reprise en main des revenus du disque : « les labels ont tout de suite adoré le format CD car ils l'ont utilisé pour persuader les acheteurs de musique de racheter à nouveau leurs collections de musique dans un format plus durable et de meilleure qualité ».

Le dernier souffle de la cassette

En 1984, quand le CD fait réellement son apparition dans les statistiques du marché de la musique aux Etats-Unis, il représente 2,4 % des revenus, quand les cassettes détiennent 55 % des parts. Vingt ans après la création du Walkman, en 1999, la cassette représentera 7,3 % des revenus du disque aux US, quand le CD mangera 87,9 % des revenus. « Le CD a été poussé de façon certaine par les grandes compagnies électroniques », explique Mark Mulligan. En France, en 1985, le ministre de la Culture Jack Lang instaure une taxe sur les achats de cassettes audio vierges visant à rémunérer les auteurs, producteurs et artistes interprètes sur la copie privée.

Paradoxalement, l'année 1979 sera à la fois l'année de la création du CD qui portera l'estocade au format cassette, mais également l'année de sortie du format Walkman. L'arrivée du lecteur portable de Sony sera une bouffée d'air pour la bande magnétique.

Ainsi, outre le vent de liberté à la copie insufflé par la cassette, la petite boîte de plastique sera aussi à l'origine de l'écoute en totale mobilité, tant attendue par les fans de Donna Summer et des paillettes. Dès sa première campagne de publicité en 1981, Sony annonce d'ailleurs la couleur en mettant en scène un homme marchant dans l'ombre - sans Walkman - face à des jeunes gens dans la rue ou en patins à roulettes.

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Les trois vies de la cassette sont ainsi représentées dans ce clip du chanteur Luther Vandross en 1982. De la bom box, au petit lecteur cassette, jusqu'au baladeur…

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Malgré un son de qualité bien moindre, la portabilité offerte par le Walkman permettra à la cassette d'enregistrer quelques hausses de ventes, notamment au début des années 90. En 1994, 1,38 milliard de cassettes sont vendues dans le monde, soit une hausse de 2,6 % par rapport à 93. Pour autant, cette année-là, Sony se désengage peu à peu du format. A Bayonne, les usines transfert leurs activités de fabrications de cassettes audio vers la fabrication de composants électroniques, et de minidisques lasers…

Et la cassette meurt ainsi, sous les initiatives successives des ayants-droits et des sociétés d'électronique. Certes son âge d'or n'est pas dilué dans le temps, mais sa forme illustre à elle seule les années 80. Aujourd'hui encore, elle semble retrouver une nouvelle vie, portée par les nostalgiques. Le film Marvel, « Les gardiens de la Galaxie » ou « Stranger Things », ont permis aux ventes de « K7 » de connaître une augmentation de 76 % entre  2015 et 2016 aux Etats-Unis. Si sa part de marché reste de moins de 1 %, le nombre de ses ventes a presque doublé, passant de 74.000 en 2017, à 129.000 en 2018.

Comme le son du vinyle traduit à lui seul le son des années 60 et 70. Elle demeure le format qui a ouvert la voie à liberté du consommateur, d'où une forme de résurgence actuelle à l'heure du dématérialisé. « Il est beaucoup plus difficile de faire une mixtape cassette que de créer une liste de lecture sur une plateforme de streaming, indique un rappeur interrogé par le quotidien The Wall Street Journal , « Mais c'est cette difficulté et les efforts nécessaires qui en font un cadeau précieux ».

Jean-Philippe Louis

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