Summer of Fish’n’chips

Les radios pirates, la pop en poupe

Dans les années 60, Radio Caroline ou Radio London ont agi en contre-pouvoir de la vénérable BBC. Le film «Good Morning England» plonge dans cette histoire.
par Olivier Lamm
publié le 13 juillet 2017 à 17h16

Comme nombre de longs métrages contemporains traitant du pic créatif de la contre-culture anglo-saxonne, Good Morning England donne dans la reconstitution idéalisée et fière de l'être. Réputé pour ses aventures télévisuelles avec les comiques Rowan Atkinson et Dawn French (les séries Blackadder et The Vicar of Dibley) autant que pour ses comédies romantiques à succès (Quatre Mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill…), le Britannique Richard Curtis y revient sur la naissance des radios pirates à l'âge d'or du rock anglais comme on se raconte chez nous les yéyés ou le quotidien des internats dans l'immédiate après-guerre : un bon vieux temps où il faisait meilleur vivre et où l'on savait mieux s'amuser.

Au-delà de l'indéniable vertu feelgood de cette petite comédie chromo où Kenneth Branagh et Philip Seymour Hoffman ont l'air de plutôt s'amuser avec leur clope au bec, leurs gros mots vintage et leur toupet, il est pourtant bon de rappeler que l'épisode dont elle s'inspire est bien plus qu'un exemple emblématique des Swingin' Sixties : un moment de transition essentiel entre deux régimes, où se confrontèrent deux visions de la culture diamétralement opposées et où furent soulevées nombre des problématiques de l'entertainment de masse sur lesquelles nous sommes loin d'avoir statué cinq décennies après.

Le film commence sur un intertitre implacable : en 1966, année de sortie de Pet Sounds des Beach Boys et Revolver des Beatles à laquelle Jon Savage consacrait récemment un passionnant pavé, la BBC diffusait moins de six heures de musique par semaine.

Ver commercial.Les cols blancs très respectables aux commandes d'«Auntie» («Tata»), comme les Britanniques surnommaient leur radio nationale avec plus ou moins d'affection, étaient pourtant loin d'agir à rebours des goûts de la jeunesse par principe, tels les capitaines d'un vieux vaisseau amiral du conservatisme. La mission d'obédience philanthropique que le gouvernement anglais avait fixée pour la British Broadcasting Corporation depuis les années 1930 était celle d'une émancipation populaire par le savoir - les animateurs déconseillaient notoirement à leurs auditrices au foyer l'écoute de ses programmes en accompagnement d'autres activités comme le ménage ou la cuisine.

Inconfortablement installées sur leurs goélettes au large de l’Essex ou leur plateforme militaire en déréliction dans la mer du Nord, les pionnières Radio Caroline ou Radio London comblaient ainsi un vide fondamental du côté de la musique et de la distraction, mais trahissaient aussi un certain idéal en invitant le ver commercial dans la pomme radiophonique. Parmi les innovations des premières radios pirates britanniques, il y avait d’ailleurs autant la libre antenne et le rock’n’roll en rotation lourde que… la publicité.

L'excellent la Mort d'un pirate de l'historien britannique Adrian Johns (édité en français chez Zones sensibles), s'ouvre sur un fait divers éloquent qui met à mal le fantasme de la bande de doux dingues uniquement motivés par l'amour de la musique et de la liberté : l'assassinat de Reginald Calvert, fondateur de la radio pirate Radio City, par son ancien associé Olivier Smedley, devenu son plus grand rival quand il fonda Radio Atlanta.

Envers infernal. Ce qui se raconte entre les lignes de cette anecdote méconnue de l'histoire de la pop music britannique, comparable à mille autres histoires d'arnaque ou de spoliation, est que la révolution contre-culturelle fut autant permise par des illuminés que par des entrepreneurs en quête de gros sous - sachant que ces pionniers étaient souvent les deux à la fois. In fine, ni l'image d'Epinal anar de Good Morning England ni l'envers infernal de l'affaire Reginal Calvert ne font pourtant honneur au rôle décisif joué par les radios pirates dans l'évolution de la musique britannique dans les années 1960-1970 et bien plus tard encore, dans les années 1990, quand Kiss FM et quelques autres servirent de canal de propagation principal à la révolution rave. Mais ça, c'est une autre histoire.

Cet été, Arte et Libération s’immergent dans la pop culture britannique.

Vendredi, à partir 22 h 50. United Kingdom of Pop, un documentaire sur les six dernières décennies de la culture pop britannique, suivi par le come-back des Monty Python en 2014.

Samedi, à partir 22 h 35. Le concert de Muse au stade olympique de Rome suivi du documentaire Pulp, a Film About Life, Death and Supermarkets puis le concert de Radiohead au festival Lollapalooza à Berlin en 2016.

Dimanche, dès 11 h 05 et jusqu'au bout de la nuit. Journée spéciale «Summer of» avec à 20 h 50 Good Morning England.

Et sur Arte.tv/summer, retrouvez le meilleur de la musique anglaise dans la playlist «Summer of Fish'n'Chips». Disponible sur toutes les plateformes de streaming.

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