Que vaut un musicien de nos jours (numériques)?

Hommage à Prince à Minnéapolis en avril 2016. L'artiste s'était toujours opposé au streaming, réservant ses droits à une seule plateforme, ses ayants droits ont accepté en février qu'il soit désormais sur les plus connues.  ©AFP - SCOTT OLSON
Hommage à Prince à Minnéapolis en avril 2016. L'artiste s'était toujours opposé au streaming, réservant ses droits à une seule plateforme, ses ayants droits ont accepté en février qu'il soit désormais sur les plus connues. ©AFP - SCOTT OLSON
Hommage à Prince à Minnéapolis en avril 2016. L'artiste s'était toujours opposé au streaming, réservant ses droits à une seule plateforme, ses ayants droits ont accepté en février qu'il soit désormais sur les plus connues. ©AFP - SCOTT OLSON
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Le partage de la valeur créée est un sujet conflictuel partout, mais dans la musique, on atteint des sommets! Le gâteau à partager a baissé de 70% depuis l'avènement du numérique, et les acteurs de la filière jouent des coudes pour récupérer les gains du streaming. Au détriment des artistes?

Le partage de la valeur, c'est un peu une histoire de gâteau, ou de camembert quelque soit le secteur. Or pour la musique, le gâteau s'est très fortement réduit. De plus d'un milliard d'euros en 2002, année d'apogée, le chiffre d'affaire de la musique enregistrée est passé à 450 millions d'euros. C'est une baisse de plus de 70%.

Néanmoins, bonne nouvelle, depuis l'an passé, pour la première fois depuis 14 ans, ce chiffre d'affaire n'est plus en baisse, selon les chiffres du SNEP, syndicat national de l'édition phonographique. Ici des chiffres au niveau mondial.

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Les nouveaux modes d'écoute de la musique, l'écoute en ligne, le téléchargement commencent à rapporter de l'argent, mais il y a de nouveaux intermédiaires, donc plus de parts de gâteau à servir.

Regarder la musique

L'évolution majeure de ces années numériques, c'est qu'aujourd'hui on regarde la musique plus qu'on ne l'écoute, et la plateforme d'écoute visuelle c'est YOU TUBE.

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Or You tube se défend d’être un distributeur de musique. Bien que les vidéos les plus vues de sa plateforme soient toutes musicales, bien que 57% de ses flux soient musicaux, You Tube se considère avant tout comme un hébergeur et ne redistribue à la filière musicale qu'une toute petite part de ce que la musique lui rapporte, ne serait-ce que par la publicité.

Dans le milieu, on appelle cela le VALUE GAP. La perte de valeur. L’Union Européenne est en train de se pencher sur cette question en ce moment même. Elle revoit sa directive droit d'auteur. Encore un sujet de contentieux entre Google (à qui appartient You Tube) et l’Union européenne.

Gâteau plus petit et plus de convives à table!

La musique est un éco-système ou l’artiste musicien interprète auteur compositeur est au début de la chaine de valeur, mais au moment du partage, il est, sauf grande notoriété, à la fin.

Entre lui et le public, il peut y avoir un producteur (majors ou indépendants), un agent ou un avocat quand l’artiste peut s’en payer, un éditeur, qui s'occupera de ses droits d'auteur touchés via la SACEM, des sociétés de gestion comme la spedidam adami, qui gèrent collectivement les revenus tirés de la diffusion de la musique à la radio, dans les bars, il y a les tourneurs qui prennent une place de plus en plus importante pour l'organisation des concerts.

_*NB: Cet article est une version longue du billet écrit diffusé le 21 juin à la radio. J'y ajoute des précisions recueillies auprès de musiciens lors de la fête de la musique!
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Il y a beaucoup de monde autour de la table. Ce n'est pas nouveau, mais désormais il y a en plus les plateformes de streaming, payant, gratuit, les sites de téléchargement. Comment on se partage ce nouveau gâteau qui n'est toujours pas si gros? Le sujet fâche au plus haut point. L'ère numérique rebat les cartes, mais tous les acteurs du monde d'hier ne veulent pas laisser leur places. Leurs oppositions sont fondamentales, et pour beaucoup pas tranchées.

Le streaming, l’écoute en ligne, est-ce assimilable à de la radio? (ce que souhaitent les sociétés qui gèrent ces droits, comme la spedidam et l’adami), ou est-ce plutôt assimilable à de la vente, et dans ce cas on reste dans un régime où le producteur donne des royalties aux artistes selon leurs écoutes?

Il y a deux ans, une mission a été confié par la ministre de la culture de l'époque Fleur Pellerin à Marc Schwartz. Elle a abouti à un protocole d'accord dont les modalités sont toujours en cours de négociation, et doivent aboutir au plus tard le 8 juillet. L'idée c'est d'établir des seuils minimum de redistribution des profits dégagés par l'écoute numérique pour les artistes.

La Spedidam n'a pas signé ce protocole, car elle estime que les musiciens non principaux sont lésés : rémunérés au cachet, ces musiciens abandonnent tout droit à toucher un pourcentage (royalties) sur l'éventuel succès numérique de l'album auquel ils auront participé. Voir ici ses explications.

Les choses s'améliorent, on va vers plus de transparence, mais le big bang n'a pas eu lieu: les musiciens risquent toujours d'être les derniers à toucher les fruits de leur travail et de leur créativité. Les acteurs de la filière sont très divisés, la refonte des droits qui découle des nouveaux mode d'écoute fait de l'économie de la musique un sujet extrêmement complexe, l'un des plus complexes que j'ai eu à traiter pendant ces 18 mois de billets économiques! Et pourtant si vous me lisez/écoutez souvent, vous savez que la complexité ne me rebute pas, loin de là... mais la....

Sur le plan quantitatif, de toutes façons, l'artiste touchera au final très peu des revenus issus du numérique. Une étude de l'Adami a montré que pour toucher 100 euros un artiste devait avoir été écouté 250 000 fois en streaming payant, un million en gratuit.

Je considère que c'est une rémunération symbolique, comme l'euro symbolique. Quand on n'est pas une super star, on sait que le streaming ne permet pas de vivre. Le rêve de tous les musiciens en ce moment, c'est de faire une synchro, témoigne un bassiste qui vit d'intermittence en télé, même si son groupe tourne régulièrement dans les festivals et enregistre des albums.

La musique, c'est une passion. Personne n'en fait au départ pour gagner de l'argent. Les élus sont rares, peu en vivent bien. On estime que 1% des artistes génèrent 77% des revenus. C’est un investissement risqué pour les producteurs, car ils peuvent investir à perte… C’est de moins en moins le cas, car de nos jours, les artistes s'auto-produisent de plus en plus.

A ECOUTER/A LIRE:

Le rêve des musiciens, faire une synchro

Une synchro, c'est quand votre chanson est utilisée dans une pub ou un film, là vous touchez des droits d'auteur, et de l'avis de tous, c'est là, entre autre, que l'on peut chercher la valeur aujourd'hui. Il y a aussi le live, mais le live entraine aussi des droits d'auteurs, donc au final, c'est ce gâteau qui peut gonfler.

Historiquement les éditeurs sont ceux qui développent les droits d'auteurs des artistes, c'est le nouveau créneau porteur. Toutes les maisons de disque ont d'ailleurs investi ce créneau, TF1 aussi, et on voit arriver un nouveau métier, le manager-éditeur. Avoir un éditeur, c'est crucial. Comme le disait ce parolier qui a écrit tant de belles chansons.

Le destin d’une œuvre n’est pas de rester dans un tiroir. Etienne Roda Gil.

Un éditeur aide l'artiste a faire connaître son œuvre. Le problème, c'est qu'un éditeur prend d'un tiers à la moitié des droits de l'auteur. Et encore cette estimation ne reflète pas la réalité, raconte Guillaume, violoniste.

On vient de signer avec un éditeur qui est vraiment connu. Il nous a proposé de nous redistribuer 20% des droits d'auteurs, il en gardera 80%. Il y a quelques années, on était encore sur du 60/40 ou du 50/50. Mais là, on n'a pas le choix. C'est un bon éditeur, on préfère n'avoir que 20% mais avoir une chance de rencontrer notre public, que... rien.

L'éditeur est le nouvel homme fort du secteur. Parfois, il négocie un "pack de préférence" avec l'artiste, c'est à dire qu'il lui verse une avance qui lui permet de financer l'enregistrement de l'album, la location d'un studio, des musiciens, mais parfois l'éditeur ne propose que d'assurer le développement commercial, sans investir un sous au départ, et il prend quand même sa moitié des droits d'auteur.

Je refuse les contrats d'édition sans pack de préférence, explique Vincent Risbourg, manager d'artiste. Il faut que l'éditeur ait pris un risque financier, sinon il n'a aucun intérêt à développer le projet.

Voilà pourquoi aussi les artistes s'auto-éditent ou montent leur boite d'édition, tout comme ils s'auto-produisent de plus en plus. On, parle maintenant du musicien 360 degrés (qui en gros sait tout faire).

Autre trou noir de la musique: les partitions

Il y a un autre trou noir de la valeur, ce sont les partitions des artistes. Tous les artistes amateurs que vous croiserez notamment à la fête de la musique et qui font des reprises, utilisent internet pour trouver les morceaux et savoir comment les jouer. C'est une forme de piratage, mais le résultat est ambivalent.

Le partage des partitions développe la musique au sens noble puisqu'elle incite à prendre un instrument entre les mains et à chanter, mais elle tue le marché. Dans cet article très intéressant, Jean-François Bert, Fondateur et dirigeant de Transparency, tiers de confiance spécialisé dans la gestion des droits dans l’univers numérique explique.

L’éditeur doit donner son accord et être rémunéré pour toute utilisation (des tablatures). On parle là de milliers, peut-être même de milliards de micropaiements potentiels, qui peuvent, in fine, représenter des revenus très importants. L’édition a toujours été faite, non pas de revenus spectaculaires, mais d’accumulation de beaucoup de petits revenus.

Derrière les notes et les mots, il y a souvent des heures de compositions qui pourraient être rémunérées. Voilà encore un chantier qui n'est pas beaucoup évoqué. 20 ans après le début du numérique, la musique n'est toujours pas sortie de la crise, la filière ne s'est pas recomposée clairement, et les caractéristiques fondamentales de ce marché n'ont pas changé: côté offre, il y a pléthore de musiciens, d'albums et de chansons de qualités... et côté demande, il y a une manne financière qui s'est considérablement réduit, des habitudes de gratuité bien ancrées.

Difficile de négocier sa dûe part de valeur ajoutée, quand on n'a encore pas rencontré son public. Difficile de s'opposer au streaming et aux miettes qui retomberont entre les mains des artistes, quand c'est devenue LA nouvelle façon d'écouter la musique. Voilà pourquoi les artistes qui s'opposent à la mise à disposition de leurs morceaux sur les plateformes sont de plus en plus rares. C'est encore le cas de Jean-Jacques Goldman et Francis Cabrel. C'était le cas de Prince... mais il est mort sans testament, et ses ayants droits ont accepté en février 2016 que son œuvre soit elle aussi écoutée en ligne sur toutes les plateformes et pas seulement sur Tindal, la plateforme que Prince avait choisi.

Dans le billet économique radio vous entendrez le début de "When doves cry", une chanson qui parle de la chaleur, et que voici, sur une autre plateforme que You Tube, avec en préambule 30 secondes de publicité obligatoires. Cling cling cling...

Marie Viennot

L'équipe