L’exode musical du XXe siècle : vers un monde meilleur ?

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L’exode musical du XXe siècle : vers un monde meilleur ?

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New York, Statue de la Liberté. Au XXe siècle, nombreux sont les musiciens à chercher asile aux Etats-Unis, fuyant les conflits qui déchirent l'Europe.
New York, Statue de la Liberté. Au XXe siècle, nombreux sont les musiciens à chercher asile aux Etats-Unis, fuyant les conflits qui déchirent l'Europe.
© Getty

Prokofiev, Stravinsky ou encore Schönberg, nombreux sont les musiciens à avoir quitté leur patrie, tantôt pour leur carrière, tantôt pour des raisons politiques. Imposés ou choisis, ces exils ont une incidence certaine sur leurs carrières et leurs œuvres musicales.

A l’heure où les flux migratoires ne cessent de s’intensifier, la question de l’exil est un véritable sujet d’actualité. Peut-être est-ce cette réflexion qui a poussé les administrateurs de La Folle Journée de Nantes à concevoir une programmation autour de cette thématique, intitulée « Vers un monde nouveau ». C’est l’occasion pour France Musique de développer ce sujet, en s’intéressant aux raisons politiques qui ont pu pousser les musiciens à s’exiler au XXe siècle.

La Révolution d’octobre et l’exil des artistes russes

Au XXe siècle, avec la montée des régimes totalitaires stalinien et hitlérien , notamment, un grand nombre de compositeurs et d’interprètes sont contraints de quitter leur pays.

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C’est le cas du pianiste et compositeur Sergueï Rachmaninov (1873-1943). Lorsqu’éclate la Révolution russe en octobre 1917, Sergueï et sa famille se voient forcés d’émigrer. Le musicien profite d’une tournée de concerts en Suède pour quitter définitivement la Russie, laissant derrière lui tout ce qu’il a. La résidence d’été dans laquelle il aimait tant se rendre pour composer est rasée au cours de la Révolution. Après Stockholm et Copenhague, il part pour les Etats-Unis et s’installe à New York, où il poursuit son activité de pianiste. Il y donne de nombreux concerts, signe plusieurs contrats d’enregistrement mais arrête, pour un temps, la composition. Son Concerto pour piano n° 4 (1926) sera la première oeuvre qu’il écrira après son exil. S’exprimant peu sur le plan politique, Rachmaninov envoie pourtant une lettre au New York Times (parue le 12 janvier 1931), dans laquelle il critique le régime soviétique. Cette diatribe lui vaut de voir sa musique interdite en Russie pendant deux ans.

Parmi les compositeurs rejetés par le régime stalinien, on compte aussi Igor Stravinsky (1882-1971). S’il s’éloigne d’abord volontairement de son pays pour lancer sa carrière, les évènements internationaux l’en détachent définitivement : à partir de 1910 et du premier succès de L’Oiseau de feu, il choisit de vivre entre la Suisse, où il passe l’hiver, et l’Ukraine, où il possède une résidence d’été. C’est ensuite pour accompagner sa femme en cure thermale qu’il s’installe à l’année en Suisse. Le début de la Première Guerre mondiale le maintient toutefois dans cet exil tandis que la Révolution d’octobre le coupe de son pays natal. Il n’y reviendra que pour un bref séjour en 1962. Établi en France à partir de 1920, il est à nouveau amené à s’expatrier lorsqu’éclate la guerre en 1939. Comme beaucoup, il choisit les Etats-Unis, où il reste finalement jusqu’à sa mort, obtenant la nationalité américaine à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Quant à Sergueï Prokofiev (1891-1953), s’il présente des aspects révolutionnaires dans sa musique avec des œuvres comme la Suite scythe, il ne montre pas d’intérêt particulier pour la politique. Ce n’est donc pas tant par opposition ou pour fuir la Révolution russe qu’il s’exile au printemps 1918, que pour poursuivre sa carrière. Il se rend aux Etats-Unis puis en France, en 1920, la même année que Stravinsky. Comme ce dernier, il fréquente le cercle de Serge Diaghilev, directeur des Ballets russes. L’exil de Prokofiev est donc, comme celui de Stravinsky, plutôt fructueux puisqu’il mène une brillante carrière de pianiste et de compositeur. En revanche, contrairement à son compatriote, il retourne en URSS et y obtient la citoyenneté soviétique. Un retour d’autant plus surprenant qu’il a lieu au moment où la censure se durcit sous la politique d’Andreï Jdanov.

Bien après la Révolution d’octobre, la censure soviétique continue de causer du tort aux artistes. En 1974, le violoncelliste Mstislav Rostropovitch (1927-2007) quitte l’URSS après avoir apporté son soutien à l’écrivain et dissident Alexandre Soljenitsyne. Quatre ans plus tard, il est déchu de sa nationalité « pour activités portant atteinte au prestige de l’Union soviétique ». Le musicien doit attendre 1990 et sa réhabilitation par Gorbatchev pour pouvoir retourner dans son pays natal.

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La fuite du nazisme

Dès le début des années 1930 l’idéologie menaçante du régime nazi naissant pousse, à nouveau, nombre d’artistes à fuir.

Professeur de composition à l’Académie des arts de Berlin, Arnold Schönberg (1874-1951) se voit chassé de son poste suite à l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, à cause de ses origines israélites et de sa musique considérée comme « dégénérée ». Il se rend alors en France pour quelques mois avant de rejoindre les Etats-Unis, qu’il ne quittera plus.

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Comme son maître Schönberg, Hans Eisler (1898-1962), communiste convaincu, est mis au ban de la société par le régime nazi. Commencent alors pour lui 15 années d’exil qui le conduisent, notamment, aux Etats-Unis. Il y enseigne la composition, poursuit sa collaboration avec son ami le dramaturge Bertolt Brecht, compose, travaille avec le philosophe Theodore Adorno… Mais la Guerre froide et la montée des tensions entre sa terre d’accueil et la Russie le contraignent une nouvelle fois à fuir. Accusé d’être un espion communiste à la solde de l’URSS et malgré le soutien de personnalités comme Charlie Chaplin, Albert Einstein, Pablo Picasso, Henri Matisse ou Jean Cocteau, il est expulsé. Son exil le mène alors à Vienne, puis à Berlin est.

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De même, les compositeurs Kurt Weill (1900-1950), Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) et Béla Bartók fuient l’Allemagne nazie pour se réfugier aux Etats-Unis, respectivement en 1935, 1934 et 1939. Le premier y compose plusieurs opéras à succès (One touch of Venus, Lady in the Dark) tandis que le second se spécialise dans la musique de films. Tous deux choisissent de rester en Amérique après la guerre. Bartók, quant à lui, entreprend une série de concerts et continue à honorer plusieurs commandes (Concerto pour orchestre, Sonate pour violon seul, Concerto pour piano n° 3). Malheureusement, atteint de leucémie, il meurt juste après la fin de la guerre, avant d’avoir pu retourner à Budapest.

Musiciens des camps

On ne saurait être exhaustif lorsqu’il s’agit de citer les musiciens ayant fui le nazisme. On ne saurait non plus évoquer cette période sans parler d’une catégorie particulière d’exilés : les victimes de la déportation.

Chez les compositeurs, l’exemple d’ Olivier Messiaen est sans doute l’un des plus connu. Mobilisé comme soldat, il est fait prisonnier par les Allemands puis déporté au camp de Görlitz, dans l’est de l’Allemagne. Il y compose son célèbre Quatuor pour la fin du temps pour violon, violoncelle, clarinette et piano, créé dans le camp, devant les détenus. Rapatrié en 1942 et nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris, Olivier Messiaen connait, après-guerre, une longue et belle carrière musicale. Tous n’ont pas cette chance.

Les tchèques Hans Krása et Viktor Ullmann, dont les œuvres sont censurées par le régime hitlérien, sont tous deux déportés au camp de Terezín en 1942 avant d’être envoyés et gazés à Auschwitz, deux ans plus tard. A Terezín, Hans Krása achève son opéra Brundibár (Le Bougon), qui raconte la lutte que mènent des enfants contre le mauvais et injuste Brundibár. Entre 1943 et 1944, l’opéra connait plus de 50 représentations et est même filmé pour les besoins de la propagande nazie. Aucun de ses interprètes, instrumentistes et enfants, ne survit aux camps de la mort. Durant sa détention, Viktor Ullmann, lui aussi, poursuit une intense activité musicale : il dirige un « studio » de musique, rédige des critiques, joue, compose. Il écrit notamment son œuvre aujourd’hui la plus connue, l’opéra en un acte Der Kaiser von Atlantis (L’Empereur de l’Atlantis), qui ne sera créé que bien après sa mort, en 1975.

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À réécouter : Terezin 1942 - 1944 #1
Musicopolis
28 min

On pourrait encore écrire des milliers de pages sur un sujet aussi vaste et sensible que celui de l’exil musical. Pour en savoir plus sur :

  • Le rapport des musiciens russes au régime soviétique : Frans Lemaire, Le destin russe et la musique : Un siècle d'histoire de la Révolution à nos jours (Paris, Fayard, 2005).
  • La censure nazie : Elise Petit et Bruno Giner, Entartete Musik, musiques interdites sous le IIIe Reich (Paris, Bleu nuit, 2015).
  • Les compositeurs victimes de déportation : le documentaire de Dorothee Binding, Refuge in music : Terezin (2013, disponible en DVD), dans lequel vous pourrez également apprécier de la superbe musique, trop peu connue et magnifiquement interprétée par la soprano Anne Sofie von Otter et le violoniste Daniel Hope, entre autres.
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