L'éducation musicale en Allemagne : en avant la pratique !

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L'éducation musicale en Allemagne : en avant la pratique !

Par
Thomas Trutschel
Thomas Trutschel
© Getty

L’Allemagne, pays de la musique classique ? Oui, pour 88% des Allemands qui estiment que la musique classique fait partie de l’héritage culturel du pays. A l'occasion des élections fédérales outre-Rhin, nous nous intéressons au système d'enseignement musical allemand.

Une grande majorité des Allemands (88%) estiment que la musique classique fait partie de l’héritage culturel du pays, selon l’article de 2014 que consacre à ce sujet Deutsche Welle. Environ 10% de la population allemande pratique la musique en amateur, dont un tiers chante, et un quart joue dans un ensemble instrumental. Les écoles de musique publiques comptent un million d'élèves et presque le même nombre suit un enseignement musical à l'école. Environ 90 000 élèves participent aux programmes éducatifs liés à la musique.

Pourtant, seul un Allemand sur cinq avoue se rendre régulièrement aux concerts classiques. Il semblerait que même dans un pays où les fonds publics alloués à la musique classique restent considérables et les traditions musicales bien ancrées, le genre perde du terrain auprès des jeunes. Pénurie d’enseignants qualifiés, surcharge des élèves, le musique a du mal à garder une place de choix dans le curriculum scolaire des élèves allemands.

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Pratique amateur en France : selon une étude de 2008 publiée par culture.gouv.fr, 12 personnes de plus de 15 ans sur 100 pratiquent un instrument, et 8 pratiquent la musique dans un groupe ou dans une chorale.

Il est difficile d'avoir une vue d'ensemble sur l’éducation musicale dans un pays où les 16 États fédéraux ( Länder) qui le composent jouissent d’une autonomie totale dans le domaine de la culture et de l’éducation. « On devrait de facto parler de 16 systèmes éducatifs autonomes, avec plus ou moins de points en commun dans le cadre de la politique éducative et culturelle fédérale et dont la coordination est assurée par la Commission fédérale pour la culture et les médias (Bundesbeauftragter für Kultur und Medien, ou BKM) et le Ministère de l'éducation et de la recherche », explique Michael Hampel, pro-recteur et professeur de guitare à la Haute Ecole de Musique de Trossingen. « Par conséquent, la situation dans l'éducation musicale, à la fois à l'école publique et dans les écoles de musique, varie considérablement d'un Land à l'autre. »

Cependant, ce qui est largement partagé dans la société allemande, c'est le consensus sur l'importance de l'éducation artistique, et donc musicale, financée par l'argent du contribuable, précise Michael Hampel. L'Allemagne est dotée d'un riche réseau d'écoles de musique soutenues par les collectivités territoriales et les municipalités : environ 900 écoles de musique sont affiliées à l'Association allemande des écoles de musique publiques, et dispensent un enseignement sur 4000 sites répartis sur tout le territoire, y compris dans les régions rurales, selon le rapport sur la vie musicale en Allemagne du Centre d'information sur la musique allemande. De plus, les élèves allemands suivent une éducation musicale intégrée dans leur cursus tout au long de leur scolarité dans tous les types d'écoles fédérales.

La musique à l'école mais pas seulement

Nous y apprenons aussi que les cours d'éducation musicale à l'école sont dispensés une à deux fois par semaine en fonction des États, et que la musique fait également partie des enseignements transversaux, combinée à d'autres matières. De la première à la neuvième classe (de 6 à 15 ans), l'enseignement musical est obligatoire et régulier, et devient optionnel en classes 9 et 10, pouvant être replacé par l'histoire des arts.

« L'enseignement est assez théorique : écriture musicale, harmonie, organologie, histoire de la musique, analyse des œuvres », explique Anja Louka, professeur de musique d'origine allemande installée en France où elle enseigne la musique au collège. « Les élèves allemands acquièrent un solide bagage en matière de connaissances musicales. Ils sont préparés à analyser par exemple un choral de Bach », précise-t-elle. Pas d'initiation à l'instrument dans le cadre de l'enseignement obligatoire, mais les écoles encouragent les pratiques musicales en dehors du temps scolaire.

« Ce qui fait la force du système allemand, c'est la complémentarité entre l'enseignement musical dispensé dans le cadre scolaire, et l'importance accordée aux pratiques musicales amateur. La musique est une matière noble et reconnue, et la vie musicale des établissements scolaires en dehors des heures de cours est d'une grande importance. Les élèves ont école le matin, et dans l'après-midi ils ont tout leur temps pour se consacrer aux loisirs, et la musique y occupe une place de choix. Quasiment dans toutes les écoles il y a un orchestre constitué d'élèves formés à l'instrument dans les écoles de musique. Les élèves non-musiciens chantent dans la chorale de l'école. Chanter dans une chorale, faire partie d'un orchestre ou fréquenter une école de musique est plutôt bien vu. Les élèves les plus 'populaires' sont justement les élèves musiciens ! On organise les colonies de vacances consacrées au chant et à la musique, et cette effervescence fait naître de nombreuses vocations. » Comme dans le cas d'Anja, qui vient d'une famille de non-musiciens, et pour qui la pratique musicale amateur tout au long de sa scolarité a été un déclencheur pour faire de la musique son métier.

Inégalités et perte de vitesse

Malgré un soutien affiché à l'éducation musicale au niveau fédéral, sur le terrain, la situation est moins rose. Crise économique et financière, changements démographiques, réformes du système scolaire, on constate ces dernières années que l’accès à l'éducation musicale n'est pas égalitaire pour tous les enfants et les jeunes et que les disparités sont grandes en fonction des différents états. La pénurie d'enseignants de musique spécialisés à l'école en est l'une des causes.

Michael Hampel ajoute : « La musique au primaire est soit souvent enseignée par les instituteurs non-spécialistes soit tout simplement abandonnée par manque d'intervenant qualifié. La pénurie est encore plus importante dans l'enseignement préscolaire, parce que les enseignants de musique n'ont pas de formation à la petite enfance intégrée dans leur cursus. De plus, les études pour devenir professeur de musique à l'école sont longues et exigeantes, et les étudiants sortis des universités optent souvent pour d'autres choix professionnels que d'enseigner la musique à l'école ».

Se rajoutent à cela les récentes réformes des rythmes scolaires, qui ont réduit la durée de l'école obligatoire d'un an dans certains états, et qui ont allongé la journée des petits Allemands. « Les élèves sont surchargés, la pression du résultat est plus grande et les priorités changent. A la place de la musique ou du sport, les parents favorisent l'apprentissage de l'Anglais ou du Chinois pour que les enfants soient plus compétitifs sur le marché du travail plus tard. Le temps qui autrefois était dédié à la pratique instrumentale passe de plus en plus à la trappe, et la musique a tendance à perdre de l'importance dans le curriculum scolaire », regrette Michael Hampel.

Dans certaines écoles de musique, la demande dépasse largement le nombre de places disponibles. Depuis la réunification de l'Allemagne, l'accessibilité aux institutions d'enseignement musical en dehors du système scolaire public n'a pas cessé de décliner. Il y a près de 100 000 enfants qui attendent d'avoir une place dans une école de musique publique parce que les réductions budgétaires empêchent les écoles d'engager suffisamment de professeurs. « Malheureusement, en Allemagne, le financement des écoles de musique n'est pas régularisé par la loi, comme c'est le cas en Autriche ou en Suisse, explique Michael Hampel. Les écoles de musique publiques sont financées par les villes et les collectivités à hauteur de 90%, mais leur financement rentre dans la catégorie des dispositifs culturels ou sportifs, donc optionnels. Lorsqu’il s’agit de faire des économies, ce sont elles qui seront touchées en premières, parce qu'il faut faire des choix. Ainsi ces dernières années les réductions budgétaires ont mis en péril de nombreuses écoles de musique. Puisque la masse salariale représente la plus grande dépense dans le budget, ce sont notamment les conditions de travail des professeurs qui en souffrent le plus. » Un facteur supplémentaire qui vient dissuader les jeunes candidats à l'enseignement musical en voie de professionnalisation.

L'avenir est à l'école

@jekits.de
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Comment endiguer le déclin et redonner un nouveau souffle à l'enseignement musical ? Par la pratique musicale comme vecteur de rapprochement des écoles publiques et des écoles de musique, justement. Comme avec le projet JeKI - Jedem Kind ein Instrument (Un instrument pour chaque enfant ), lancé en 2003 à Bodrum dont l'objectif est de donner accès à tous les enfants, et notamment à ceux issus de l'immigration ou appartenant aux classes les plus défavorisées dans cette région de la Ruhr durement touchée par la reconversion économique, à une éducation artistique dès le plus jeune âge. Mais aussi valoriser l'immense héritage musical du pays. Un dispositif qui permet à chaque enfant d'apprendre à jouer d'un instrument dans le cadre de l'enseignement obligatoire de la musique à l'école.

Les enseignants des écoles de musique dispensent des cours d'instrument à tous les élèves, un dispositif biennal entièrement pris en charge par la municipalité. Le succès est immédiat. Depuis 2007, les autorités du Land Rhénanie-du-nord-Westphalie s'emparent du projet et décident de le généraliser. A l'orée de l'année 2010 - où la région de la Ruhr devient la capitale européenne de la culture - l'enseignement musical devient le cheval de bataille d'un enseignement artistique plus démocratique. Le projet initial est élargi et repensé : le JeKiSti propose désormais, outre la pratique instrumentale sur instruments classiques et issus des cultures de l'immigration, la danse et le chant.

Les professeurs venus des écoles de musique travaillent avec les instituteurs, reçoivent une formation spécifique pour l’enseignement collectif et forment à leur tour les instituteurs sur différents aspects de l'enseignement musical. Les élèves ont deux cours de pratique par semaine et acquièrent des notions en instruments, expression corporelle, écriture musicale, théorie et jeu d’ensemble. La durée du cycle est de deux ans, la première année d'enseignement est entièrement gratuite, et la deuxième est à charge des familles : de 12 à 23 euros par mois, avec les tarifs dégressifs et calculés en fonction du quotient familial.

L'intérêt pour JeKiSti n'a jamais cessé d'augmenter. Pour l'année 2016/17, 150 communes ont participé au projet, mené dans 814 écoles avec 126 écoles de musique ou de danse. La région de Rhénanie-du-nord-Westphalie investit aujourd'hui une somme annuelle de plus de dix millions d'euros et le projet s'est répandu sur d'autres Lander à travers le pays. Depuis 2009, le gouvernement fédéral a commencé à financer de larges études sur le contenu, l’évaluation et les prospectives des Jeki et JeKiSti. « Depuis l'introduction du JeKiSti, le paysage dans l'enseignement musical s'est profondément transformé », témoigne Birgit Weller, coordinatrice du projet. « Avant, seulement 5% des enfants scolarisés suivaient un enseignement musical dans des écoles de musique. Aujourd'hui, 20 à 30% des enfants jouent d'un instrument. Les instituteurs sont épaulés et formés dans l'enseignement artistique, et les écoles de musique bénéficient d'une meilleure visibilité, notamment parmi les enfants qui n'évoluent pas naturellement dans des milieux culturellement favorisés. Le taux des enfants qui continuent la musique après, à l'école ou ailleurs, est monté en flèche et avoisine aujourd'hui 20%. A la fin, tout le monde en sort gagnant », constate-t-elle.

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