Rappeurs africains, entre engagement politique et musique

Manifestations au Burkina Faso en 2015. © Sia Kambou / AFP

Ils sont rappeurs, vivent dans des pays où le pouvoir est contesté, et produisent du rap engagé comme on pourrait faire des discours politiques. Alors, artistes ou leaders d'opinion ? Venus pour le festival Africolor, Lexxus Legal (République Démocratique du Congo), Valsero (Cameroun) et Cheikh MC (Comores), expliquent leur art. 

Chacun son rap, chacun son message, chacun sa fonction. Mais pour le Congolais Lexxus Legal, le Camerounais Valsero et le Comorien Cheikh MC, c'est l'art de la révolte, un point c'est tout ! "Lorsque l'on fait du hip hop, on est engagé obligatoirement", lance le rappeur venu des Comores. "C'est une religion, il s'agit de faire passer un message pour libérer les peuples", renchérit l'artiste camerounais.

Pour ces trois Africains, tout commence dans les années 1990 lorsqu'ils découvrent les flows militants des Américains Public Enemy, Brand Nubian, Gang Starr, Ice Cube ou encore des Français IAM, Assassin et MC Solaar. Sans oublier les précurseurs du continent comme les Sénégalais Positive Black Soul et Daara.J, le Burkinabè Yeleen et le Camerounais Ak'sang. "À l'époque, la musique étrangère été interdite par le régime de Mobutu. Mais les enfants des fonctionnaires haut-placés avaient la chance de voyager. Ils nous échangeaient des cassettes et VHS qui sortaient des États-Unis contre des services. C'était une révélation pour moi", se rappelle Lexxus Legal.

Les héritiers du hip hop

Vingt-six ans plus tard, les trois rappeurs se sentent les héritiers du genre urbain qui dépeint avec niaque la réalité. La scène musicale devient alors le porte-voix de cette nouvelle génération d'artistes qui a grandi dans des pays secoués par des coups d'État et des élections contestées. "Le rap est l'expression des opprimés", lance Cheikh MC avant d'expliquer qu'il "offre une liberté de parole qui permet de faire passer des messages".  Ainsi, dans son dernier titre, Anyibu, le Comorien dénonce un harcèlement sexuel banalisé dans un pays où "règne le tabou et l'impunité".

Même élan acide chez le rappeur congolais : "La classe politique a tué l'espoir des jeunes de mon pays. C'est cette situation qui m’inspire. Dans ce contexte-là, je ne vois pas comment tu peux faire un rap bling-bling." Et d'ajouter : "Le rap est un art qui laisse de la place au texte. Il ne s'adresse pas aux hanches, mais au cerveau", rapporte celui que l'on appelle la "Fausse note" au pays de la rumba. Dans son dernier album Leop'Art, il critique violemment les personnalités publiques de la République démocratique du Congo qu'ils appellent allégrement des "animaux politiques".

Dans le même sens, profondément scandalisé par la longévité au pouvoir du président Paul Biya, Valsero décrit sa musique comme "un ensemble de tableaux qui ont pour objectif de montrer la réalité d'un pays et de défendre les droits de l'homme". Pour le chanteur de 44 ans, seule l'énergie du hip hop lui permet de divulguer ses opinions. "Le coupé-décalé ou les autres genres africains dégagent une énergie positive. Comment y faire passer des textes contenant une situation violente et anticonstitutionnelle ?", s'interroge le doyen.

Suivre la tendance musicale

Si, sur le fond, rap et engagement se révèlent être un pléonasme, sur la forme, les puristes sont obligés de suivre la tendance, car un raz-de-marée afro a déferlé sur le style urbain, concrétisé par l'afrobeat venu de Côte d'Ivoire, du Ghana et du mastodonte musical du moment, le Nigeria. Moins de politique, plus d'ode au consumérisme, à la vie légère. Et à l'"enjaillement".

"Même si nous sommes des rappeurs engagés, nous sommes des artistes d'abord. Nous devons évoluer perpétuellement", nuance Cheikh MC, qui s'évertue à inventer "le rap comorien". Suivant l'exemple de ces aînés comme Raaboon et Movaizhaleine qui ont intégré dans les années 2000 dans leurs compositions des rythmes traditionnels, l'auteur de Révolution a ajouté à son rap des samples de kandza et de dhikr, des rythmes venus de "sa petite île". "J'avais besoin d'un retour aux sources. Mais c'était difficile, car ce sont des musiques très différentes", constate le Comorien.

Même démarche chez Lexxus Legal : "Quand je voyage, j'écoute des musiques ethniques et j'essaye de voir ce que ça peut donner avec mon style. Mais mon flow ne change pas, le fond reste le même". Dans ces morceaux, le rappeur a ajouté des sonorités de lokombés, un tambour emblématique des Tetelas, le peuple de ses parents. Pour Valsero a contrario, le hip hop ne doit pas évoluer, mais rester dans "son essence originelle". Celui qui se décrit comme "un fossile" de la scène urbaine reste "amoureux des grosses basses, des beats tranchés et des flows rythmés". À chaque album, comme sur Densité, il reste "sur ses fondamentaux" pour ne pas oublier la fonction principale : laisser de la place au texte.

Engagement ou business, l'heure du choix a sonné ?

L'heure semble donc, toute proportion gardée, être au métissage et à la revendication identitaire dans la musique urbaine. Alors, art engagé ou business ? La réponse de Valsero, Lexxus Legal et Cheikh MC est univoque : hors de questions de sacrifier des textes pour faire face à des impératifs commerciaux. "Certains rappeurs français ont décollé et ont une vie moins difficile. Ils ont donc choisi de faire un rap plus maquillé. Ma vie de tous les jours et ce que je vois, m'amène à rester dans la pureté du hip hop". Et si les Comores ressemblaient aux pays qu'il espère ? "Il y a toujours quelque chose à dire, un message à faire passer", ironise le rappeur de 38 ans.

Parce que leur musique, c'est avant tout l'histoire d'un tempérament. "Je n'ai pas le génie de Booba pour parler autant des femmes et du sexe. Ce n'est pas mon truc. Je suis quelqu'un qui se bat pour des causes", fulmine Lexxus Legal précisant que si le rap ne lui permet plus de faire passer ses "opinions politiques et sociales", il passera "à autre chose". Et pourquoi pas devenir un leader ? "Si j'ai des opportunités, je prendrais le risque".

Un engagement qui dépasse également la musique pour Cheikh MC qui milite aux côtés de l'Unicef et à qui il arrive de "mener des manifestations". Quant à Valsero, il vitupère : "Qu'est-ce qui vous fait croire que demain, je ne prendrais pas de responsabilités politiques ?". On n'en saura pas plus. Une chose est sûre : être artistes ou engagés, leurs cœurs balancent sur les beats du hip hop de leurs aînés, "les vrais".

Concert Politique de la rue le 22 novembre au Canal 93 à Bobigny

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